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Préambule
La question du secret professionnel est une des plus sensibles auxquelles sont confrontés les travailleurs sociaux. Perçue comme la résultante d’une double contrainte, celle de se taire et de parler en même temps, cette question peut générer un certain sentiment d’insécurité juridique. Le cas de l’assistante sociale d’une association d’aide aux femmes battues de Belfort, placée en garde à vue pendant trois heures pour « aide au séjour irrégulier alors qu’elle exerçait son travail en est l’illustration. Cette accusation grave a provoqué un certain émoi chez les travailleurs sociaux.
L’A.N.A.S., qui a réagi, a senti le besoin de conseiller les professionnels, de leur donner non pas des recettes mais plutôt de leur indiquer des postures à tenir avant et lorsqu’ils sont appelés à témoigner de façon à faire un bon usage du secret professionnel car chaque cas est particulier. Ils ne pourront le faire que s’ils sont au clair avec le secret professionnel et les valeurs fondamentales de la profession. Dans ce sens il apparaît donc nécessaire de rappeler ce qu’est le secret professionnel et ce qu’il n’est pas afin de ne l’opposer qu’à bon escient.
I Etre au clair avec le secret professionnel et la déontologie professionnelle
Le secret est un savoir caché. L’une des fonctions du secret est de protéger l’intime, de protéger une réputation, un sentiment ou un bien. Il protége la vie privée ( article 9 du code civil ) et la dignité de ceux qui viennent se confier.
Le secret professionnel n’est pas un droit ni une prérogative pour les professionnels astreints au secret. C’est un devoir moral et déontologique pour les assistants de service social astreints par profession. C’est une obligation de se taire imposée par loi sous peine de sanction pénale; c’est donc une contrainte. Néanmoins, il est d’intérêt d’ordre public car, il vise à crédibiliser les professions qui ne peuvent s ‘exercer sans la confiance absolue de leurs usagers ou clients. C’est également un choix de société démocratique. A ce sujet, le philosophe Jacques Derrida écrivait : « Si le droit au secret n’est pas maintenu, nous sommes dans un espace totalitaire »
1.Les textes
Il est bon pour tous les professionnels de connaître les principaux textes qui régissent le secret professionnel pour pouvoir tenir une posture professionnelle.
– L’article 226-13 du code pénal :
« la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ".
Cet article caractérise le délit de violation du secret professionnel. Il ne définit pas le secret professionnel. Le code pénal n’en donne d’ailleurs aucune définition. La définition du secret professionnel est jurisprudentielle. L’information protégée par le secret professionnel a été étendue à : « ce que le professionnel aura appris, compris, connu ou deviné à l’occasion de son exercice professionnel »
- L’article 226-14 du code pénal :
En outre, il n'est pas applicable :
1º A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;
2º Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est mineure, son accord n'est pas nécessaire ;
3º Aux professionnels de la santé ou de l'action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une ;
L’article 226-14 contient des dérogations à l’article 226-13 qui peuvent permettre à un professionnel soumis au secret professionnel de parler sans risque d’être poursuivi. Il énumère les cas où il est permis de parler. Cette autorisation de parler n’a pour autant aucun caractère obligatoire. Le professionnel est ainsi autorisé à ne pas parler.
Vous pouvez remarquer que « le séjour irrégulier » n’est pas considéré comme une dérogation à l’article 226-13.
2. Qui est tenu au secret professionnel ?
Un professionnel peut être tenu au secret professionnel de trois façons :
-Par profession : médecins, avocats, assistants de service social (Article L 411-3 du Code de l’action sociale et des familles)
- Par fonction ou mission même temporaire( secret missionnel )
- Par état (confesseur, prêtres etc.)
D’autres catégories professionnelles sont soumises au secret professionnel comme les fonctionnaires au titre de l’article 26 du statut général des fonctionnaires et par la loi n°83-634 du 18 juillet 1983.
La circulaire interministérielle du 21 juin 1996 liste les personnes soumises au secret professionnel. Une longue liste qui va des personnes intervenant dans l’instruction des demandes RMI aux personnes participant aux missions de l’ASE.
II Les recommandations en cas de témoignage
La convocation peut être téléphonique, écrite transmise par voie postale ou déposée par les policiers ou gendarmes. Avant d’aborder les recommandations en cas de témoignage, disons quelques mots sur la procédure. La procédure est un ensemble des règles de forme selon lesquelles doivent se dérouler les procès devant les diverses juridictions qui en sont saisies.
Distinguons la procédure civile de la procédure pénale. Si en matière civile le procès ne connaît qu’une seule phase celle du jugement, en matière pénale la procédure peut comporter plusieurs phases : la phase policière (confiée à la police judiciaire sous le contrôle du procureur général), l’instruction (en cas des crimes ou délits graves), le procès et l’exécution de la peine.
La procédure pénale suppose l’existence d’un trouble social causé par la violation d’une loi pénale. La police judiciaire est alors chargée de rechercher les auteurs et les preuves.
Le professionnel peut être appelé à déposer dans l’une de ces trois premières phases.
La phase policière peut comporter trois types d’enquêtes : préliminaire, commission rogatoire (exercée par un OPJ à la demande du juge) et l’enquête de flagrance.
Dans ces différentes phases et même au procès, le témoignage ne nécessite pas la présence d’un avocat. Témoigner ne veut pas dire mis en examen. Cependant être conseillé avant une audition n’est pas superflu. Etre conseillé permet de prendre le recul nécessaire. Même quand on est astreint au secret professionnel le juge ou l’officier de police judiciaire peut demander à vous entendre pour d’autres faits que ceux couverts par le secret professionnel. De surcroît, le juge est le seul à pouvoir vérifier l’excuse du secret professionnel.
Sachez encore que :
- Vous devez donner votre adresse professionnelle.
- Vous serez invité à signer le procès verbal de votre audition, mais vous ne pourrez pas recevoir copie de votre procès verbal (Si vous êtes convoqué aux assises, vous pouvez reprendre contact l’officier de police judiciaire ou le commissariat qui vous a entendu dans le cadre de la procédure policière afin de relire votre procès verbal d’audition)
- Vous pouvez demander la modification de certaines formules qui ne seraient pas conforme à vos dires, signer le procès en annotant des restrictions sur certains passages, si votre interlocuteur n’a pas voulu les modifier, vous pouvez également refuser de signer, mais l’absence de signature n’a pas valeur juridique et ce refus peut entraîner une nouvelle convocation par un autre représentant policier ou judiciaire.
1. Etre conseillé
Avoir un conseil juridique est vivement recommandé. Les fonctionnaires de trois fonctions publiques bénéficient d’une protection juridique conformément à la loi du 13 juillet 1983 . Il leur appartient de faire jouer cette protection par leur administration respective. Cela suppose avoir repéré préalablement ce service.
Un arrêt récent du 18 octobre 2006, rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, a jugé que les frais de justice engagés par un salarié pénalement poursuivi par un client de son employeur, pour des faits relatifs à l’exercice de ses fonctions, devaient être pris en charge par l’employeur. C’est donc une obligation relative à la protection juridique du salarié lorsque celui-ci est personnellement mis en cause pour des faits commis dans le cadre de ses fonctions.
Ceux qui ont souscrit à l’assurance professionnelle peuvent également la faire jouer.
2. Ne pas rester seul : solliciter si possible sa hiérarchie ou son employeur
L’assistant de service social n’est pas un « électron libre ». Ses missions lui sont confiées par un employeur. Par conséquent, sa légitimité découle en partie de ce lien de subordination. Par ses actes, il peut engager la responsabilité de son employeur. C’est pourquoi, il devrait d’abord demander l’aide de dernier. L’encadrement a un rôle important à jouer. Il peut marquer la présence du service en accompagnant le professionnel même s’il ne pas certain qu’il pourra assister à l’audition. Cela dépend du bon vouloir du service à l’origine de la convocation.
3. Situer le cadre de son témoignage et de son intervention
Avec l’aide de son institution, il vaut mieux situer le cadre de son témoignage et de son intervention.
Pour les professionnels autres que les assistants de service social (soumis par profession quel que soit leur lieu d’exercice), faites-vous préciser si votre service participe aux missions de l’ASE, de la PMI, du RMI... Vous pourrez ainsi savoir si vous bénéficiez de l’excuse fondée sur le secret professionnel ?
L’article 109 du code de procédure pénale dispose que toute personne est tenue de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. L’excuse fondée sur le secret professionnel est considérée comme légitime.
Cependant selon la cours de cassation « le secret professionnel ne peut être opposé à la justice que par ceux qui sont, en raison de leur profession ou de leur état, des confidents nécessaires », est-ce que c’est votre cas ?Les médecins, les avocats et les assistants de service social sont considérés par la jurisprudence comme des confidents nécessaires.
Par ailleurs, la « sous-traitance » se développe de plus en plus dans le secteur social, ce qui peut brouiller les repères. Il y va de l’intérêt du professionnel de se faire préciser le cadre de son exercice. Car en fonction du cadre d’exercice, l’astreinte au secret professionnel peut varier.
Le secret professionnel est par exemple inopposable à l’autorité judiciaire qui mandate un service. De même, il est inopposable au Président du conseil général pour les mineurs relevant de sa compétence.
4. Etre professionnel
- Faire le tri des informations à transmettre.
- S’en tenir aux faits objectifs.
- Etre professionnel suppose en amont d’être prudent : de ne pas délivrer des attestations à des tiers sachant qu’elles peuvent être produites en justice, d’éviter une « trop grande » proximité avec les usagers car les informations apprises en dehors d’une situation professionnelle ne sont pas couvertes par le secret professionnel. En effet le témoignage est dû si les faits on été connus dans d’autres circonstances comme relations d’amitié ou de voisinage.Il en de même, des rumeurs, bruits de couloir ou faits de notoriété publique. Françoise Limoujoux ancienne déléguée permanente de l’ANAS recommandait au professionnel de ne pas se faire l’écho de ce genre d’informations car, il ne peut les prétendre secrètes.
- Etre professionnel c’est aussi savoir refuser de recevoir certaines confidences notamment quand le cadre ne s’y prête pas.
5. Eviter toute attitude pouvant être interprétée comme de l’obstruction ou de la provocation
- Si le professionnel estime être tenu au secret professionnel, il devra en informer son interlocuteur avec diplomatie et sans arrogance en se référant non pas à son droit de garder le silence mais à son obligation légale de se taire en indiquant bien qu’il n’a nullement l’intention de faire obstacle à sa tâche.
- Le professionnel se gardera de dire par exemple : « je n’ai rien à déclarer »
Si vous êtes convoqué à la suite d’un rapport que vous avez rédigé, reprenez le contenu de ce rapport.
6. Prévenir le juge si vous ne souhaitez pas comparaître pour éviter d’être recherché par la force publique.
En effet selon l’article 101 du code de procédure pénale, le juge fait citer devant lui toute personne dont la déposition lui paraît utile. Il apprécie seul l’utilité de l’audition d’un témoin. De même, il est le seul à apprécier la validité de l’excuse fondée sur le secret professionnel.
7. Se rappeler que les seules dérogations au secret professionnel sont contenues dans l’article 226-14 du code pénal.
Le «séjour irrégulier» n’en fait pas partie, ni la délivrance d’une carte de séjour, ni même l’accès à la nationalité française.
« Dans ses activités, l’assistant de service social met sa fonction à la disposition des personnes, quels que soient leur race, leur couleur, leur sexe, leur situation, leur religion, leur opinion politique et quels que soient les sentiments que ces personnes lui inspirent. » C’est le principe de la non-discrimination contenu dans l’article 2 du code déontologie de l’ANAS.
En conséquence, l’obligation légale du secret s’impose même à l’égard des « sans papiers. »
8. En cas d’enquête de flagrance ou préliminaire ( article 53 à 74-1 du code de procédure pénale)
L’article 60-2 de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ( Loi Perben ll ) a accordé à la police des pouvoirs exorbitants en matière de saisie en particulier et de coercition ( garde à vue ). Car, la police peut faire des perquisitions sans demander l’avis du parquet alors que dans l’enquête préliminaire, la police est obligée de convoquer les personnes. On ne peut s’y opposer que pour un motif légitime. Il est probable que c’est la jurisprudence qui définira la notion du « motif légitime. »
Le professionnel requis doit s’assurer de l’objet de la réquisition et qu’il est bien requis par une personne ayant la qualité d’officier de police judiciaire.
Il doit s’assurer également que les documents saisis correspondent à l’objet de la réquisition.
Il est également conseillé de prévenir la hiérarchie.
Il est souhaitable que chaque service ait réfléchi au préalable à une procédure en cas de saisie pour ne pas se demander ce qu’il faut faire le jour de l’enquête.
Ne pas hésiter avec l’assistance d’un avocat à contester la réalité de la flagrance si vous estimez que les conditions d’une flagrance ne sont pas réunies à savoir le crime ou délit vient de se commettre( moins de 24 heures selon la jurisprudence), le crime ou délit se commet actuellement( doit être révélé par un indice apparent préalablement découvert).
9. Connaître le règlement intérieur de son institution ainsi que les procédures internes, sous réserve qu’il en existe.
S’il existe une charte éthique, même si les chartes n’ont pas de juridicité particulière, elles sont normatives. Nous conseillons aux professionnels de l’appliquer pour ne pas être en porte à faux avec son institution ou service. Il convient cependant de vérifier que le règlement ou la charte est conforme aux obligations légales et déontologiques citées ci-dessus.
10. Reprendre et noter par écrit aussitôt l’audition terminée le contenu de l’interrogatoire, en se rappelant notamment des termes employés inscrits sur le procès verbal d’audition que vous avez signé.
En effet vous pouvez être convoquée à l’avenir pour témoigner lors d’un procès susceptible de se dérouler plusieurs mois voire plusieurs année après votre audition. Vos notes vous seront alors très précieuses pour rappeler ce que vous aviez déclaré à l'origine. (il est aussi possible de prendre connaissance du PV d’audition avant le procès mais ce n’est pas toujours le cas).
Conclusion
La connaissance de la procédure et de ce qu’est le secret professionnel constitue un élément essentiel pour chaque professionnel, lequel reste responsable de ses actes et de ses propos. La situation d’audition peut se révéler une expérience humainement éprouvante. Il n’est pas rare qu’une forte pression psychologique soit exercée sur le professionnel. Il peut même y avoir mise en examen comme ce fut le cas lors de l’affaire de Belfort. Mais mise en examen ne signifie pas automatiquement « poursuites judiciaires». D’où l’importance d’être au clair avec son cadre d’intervention et le cadre juridique.
Cependant, les situations de témoignages ne se résument pas aux dérives que nous dénonçons. L’amélioration des relations des services sociaux avec la justice ou la police passe par une connaissance réciproque du travail des uns et des autres qui rétablirait la confiance. Afin de préserver les droits des usagers, les professionnels doivent être préparés par une formation permanente compte tenu de l’évolution incessante du droit. La volonté de punir ne devrait pas transformer les services sociaux en officines des renseignements pour la police. Car, cela serait tout à fait dommageable et contre productif pour l’Etat. Ce seul soupçon de travailler pour la police ferait perdre aux travailleurs sociaux la confiance des usagers. Or, sans relation de confiance, point de travail social.
Vendredi 19 octobre 2007
Pour le Conseil d’Administration de l’A.N.A.S.
Paola PARAVANO et Luki MUNDAYA
La question du secret professionnel est une des plus sensibles auxquelles sont confrontés les travailleurs sociaux. Perçue comme la résultante d’une double contrainte, celle de se taire et de parler en même temps, cette question peut générer un certain sentiment d’insécurité juridique. Le cas de l’assistante sociale d’une association d’aide aux femmes battues de Belfort, placée en garde à vue pendant trois heures pour « aide au séjour irrégulier alors qu’elle exerçait son travail en est l’illustration. Cette accusation grave a provoqué un certain émoi chez les travailleurs sociaux.
L’A.N.A.S., qui a réagi, a senti le besoin de conseiller les professionnels, de leur donner non pas des recettes mais plutôt de leur indiquer des postures à tenir avant et lorsqu’ils sont appelés à témoigner de façon à faire un bon usage du secret professionnel car chaque cas est particulier. Ils ne pourront le faire que s’ils sont au clair avec le secret professionnel et les valeurs fondamentales de la profession. Dans ce sens il apparaît donc nécessaire de rappeler ce qu’est le secret professionnel et ce qu’il n’est pas afin de ne l’opposer qu’à bon escient.
I Etre au clair avec le secret professionnel et la déontologie professionnelle
Le secret est un savoir caché. L’une des fonctions du secret est de protéger l’intime, de protéger une réputation, un sentiment ou un bien. Il protége la vie privée ( article 9 du code civil ) et la dignité de ceux qui viennent se confier.
Le secret professionnel n’est pas un droit ni une prérogative pour les professionnels astreints au secret. C’est un devoir moral et déontologique pour les assistants de service social astreints par profession. C’est une obligation de se taire imposée par loi sous peine de sanction pénale; c’est donc une contrainte. Néanmoins, il est d’intérêt d’ordre public car, il vise à crédibiliser les professions qui ne peuvent s ‘exercer sans la confiance absolue de leurs usagers ou clients. C’est également un choix de société démocratique. A ce sujet, le philosophe Jacques Derrida écrivait : « Si le droit au secret n’est pas maintenu, nous sommes dans un espace totalitaire »
1.Les textes
Il est bon pour tous les professionnels de connaître les principaux textes qui régissent le secret professionnel pour pouvoir tenir une posture professionnelle.
– L’article 226-13 du code pénal :
« la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ".
Cet article caractérise le délit de violation du secret professionnel. Il ne définit pas le secret professionnel. Le code pénal n’en donne d’ailleurs aucune définition. La définition du secret professionnel est jurisprudentielle. L’information protégée par le secret professionnel a été étendue à : « ce que le professionnel aura appris, compris, connu ou deviné à l’occasion de son exercice professionnel »
- L’article 226-14 du code pénal :
En outre, il n'est pas applicable :
1º A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;
2º Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est mineure, son accord n'est pas nécessaire ;
3º Aux professionnels de la santé ou de l'action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une ;
L’article 226-14 contient des dérogations à l’article 226-13 qui peuvent permettre à un professionnel soumis au secret professionnel de parler sans risque d’être poursuivi. Il énumère les cas où il est permis de parler. Cette autorisation de parler n’a pour autant aucun caractère obligatoire. Le professionnel est ainsi autorisé à ne pas parler.
Vous pouvez remarquer que « le séjour irrégulier » n’est pas considéré comme une dérogation à l’article 226-13.
2. Qui est tenu au secret professionnel ?
Un professionnel peut être tenu au secret professionnel de trois façons :
-Par profession : médecins, avocats, assistants de service social (Article L 411-3 du Code de l’action sociale et des familles)
- Par fonction ou mission même temporaire( secret missionnel )
- Par état (confesseur, prêtres etc.)
D’autres catégories professionnelles sont soumises au secret professionnel comme les fonctionnaires au titre de l’article 26 du statut général des fonctionnaires et par la loi n°83-634 du 18 juillet 1983.
La circulaire interministérielle du 21 juin 1996 liste les personnes soumises au secret professionnel. Une longue liste qui va des personnes intervenant dans l’instruction des demandes RMI aux personnes participant aux missions de l’ASE.
II Les recommandations en cas de témoignage
La convocation peut être téléphonique, écrite transmise par voie postale ou déposée par les policiers ou gendarmes. Avant d’aborder les recommandations en cas de témoignage, disons quelques mots sur la procédure. La procédure est un ensemble des règles de forme selon lesquelles doivent se dérouler les procès devant les diverses juridictions qui en sont saisies.
Distinguons la procédure civile de la procédure pénale. Si en matière civile le procès ne connaît qu’une seule phase celle du jugement, en matière pénale la procédure peut comporter plusieurs phases : la phase policière (confiée à la police judiciaire sous le contrôle du procureur général), l’instruction (en cas des crimes ou délits graves), le procès et l’exécution de la peine.
La procédure pénale suppose l’existence d’un trouble social causé par la violation d’une loi pénale. La police judiciaire est alors chargée de rechercher les auteurs et les preuves.
Le professionnel peut être appelé à déposer dans l’une de ces trois premières phases.
La phase policière peut comporter trois types d’enquêtes : préliminaire, commission rogatoire (exercée par un OPJ à la demande du juge) et l’enquête de flagrance.
Dans ces différentes phases et même au procès, le témoignage ne nécessite pas la présence d’un avocat. Témoigner ne veut pas dire mis en examen. Cependant être conseillé avant une audition n’est pas superflu. Etre conseillé permet de prendre le recul nécessaire. Même quand on est astreint au secret professionnel le juge ou l’officier de police judiciaire peut demander à vous entendre pour d’autres faits que ceux couverts par le secret professionnel. De surcroît, le juge est le seul à pouvoir vérifier l’excuse du secret professionnel.
Sachez encore que :
- Vous devez donner votre adresse professionnelle.
- Vous serez invité à signer le procès verbal de votre audition, mais vous ne pourrez pas recevoir copie de votre procès verbal (Si vous êtes convoqué aux assises, vous pouvez reprendre contact l’officier de police judiciaire ou le commissariat qui vous a entendu dans le cadre de la procédure policière afin de relire votre procès verbal d’audition)
- Vous pouvez demander la modification de certaines formules qui ne seraient pas conforme à vos dires, signer le procès en annotant des restrictions sur certains passages, si votre interlocuteur n’a pas voulu les modifier, vous pouvez également refuser de signer, mais l’absence de signature n’a pas valeur juridique et ce refus peut entraîner une nouvelle convocation par un autre représentant policier ou judiciaire.
1. Etre conseillé
Avoir un conseil juridique est vivement recommandé. Les fonctionnaires de trois fonctions publiques bénéficient d’une protection juridique conformément à la loi du 13 juillet 1983 . Il leur appartient de faire jouer cette protection par leur administration respective. Cela suppose avoir repéré préalablement ce service.
Un arrêt récent du 18 octobre 2006, rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, a jugé que les frais de justice engagés par un salarié pénalement poursuivi par un client de son employeur, pour des faits relatifs à l’exercice de ses fonctions, devaient être pris en charge par l’employeur. C’est donc une obligation relative à la protection juridique du salarié lorsque celui-ci est personnellement mis en cause pour des faits commis dans le cadre de ses fonctions.
Ceux qui ont souscrit à l’assurance professionnelle peuvent également la faire jouer.
2. Ne pas rester seul : solliciter si possible sa hiérarchie ou son employeur
L’assistant de service social n’est pas un « électron libre ». Ses missions lui sont confiées par un employeur. Par conséquent, sa légitimité découle en partie de ce lien de subordination. Par ses actes, il peut engager la responsabilité de son employeur. C’est pourquoi, il devrait d’abord demander l’aide de dernier. L’encadrement a un rôle important à jouer. Il peut marquer la présence du service en accompagnant le professionnel même s’il ne pas certain qu’il pourra assister à l’audition. Cela dépend du bon vouloir du service à l’origine de la convocation.
3. Situer le cadre de son témoignage et de son intervention
Avec l’aide de son institution, il vaut mieux situer le cadre de son témoignage et de son intervention.
Pour les professionnels autres que les assistants de service social (soumis par profession quel que soit leur lieu d’exercice), faites-vous préciser si votre service participe aux missions de l’ASE, de la PMI, du RMI... Vous pourrez ainsi savoir si vous bénéficiez de l’excuse fondée sur le secret professionnel ?
L’article 109 du code de procédure pénale dispose que toute personne est tenue de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. L’excuse fondée sur le secret professionnel est considérée comme légitime.
Cependant selon la cours de cassation « le secret professionnel ne peut être opposé à la justice que par ceux qui sont, en raison de leur profession ou de leur état, des confidents nécessaires », est-ce que c’est votre cas ?Les médecins, les avocats et les assistants de service social sont considérés par la jurisprudence comme des confidents nécessaires.
Par ailleurs, la « sous-traitance » se développe de plus en plus dans le secteur social, ce qui peut brouiller les repères. Il y va de l’intérêt du professionnel de se faire préciser le cadre de son exercice. Car en fonction du cadre d’exercice, l’astreinte au secret professionnel peut varier.
Le secret professionnel est par exemple inopposable à l’autorité judiciaire qui mandate un service. De même, il est inopposable au Président du conseil général pour les mineurs relevant de sa compétence.
4. Etre professionnel
- Faire le tri des informations à transmettre.
- S’en tenir aux faits objectifs.
- Etre professionnel suppose en amont d’être prudent : de ne pas délivrer des attestations à des tiers sachant qu’elles peuvent être produites en justice, d’éviter une « trop grande » proximité avec les usagers car les informations apprises en dehors d’une situation professionnelle ne sont pas couvertes par le secret professionnel. En effet le témoignage est dû si les faits on été connus dans d’autres circonstances comme relations d’amitié ou de voisinage.Il en de même, des rumeurs, bruits de couloir ou faits de notoriété publique. Françoise Limoujoux ancienne déléguée permanente de l’ANAS recommandait au professionnel de ne pas se faire l’écho de ce genre d’informations car, il ne peut les prétendre secrètes.
- Etre professionnel c’est aussi savoir refuser de recevoir certaines confidences notamment quand le cadre ne s’y prête pas.
5. Eviter toute attitude pouvant être interprétée comme de l’obstruction ou de la provocation
- Si le professionnel estime être tenu au secret professionnel, il devra en informer son interlocuteur avec diplomatie et sans arrogance en se référant non pas à son droit de garder le silence mais à son obligation légale de se taire en indiquant bien qu’il n’a nullement l’intention de faire obstacle à sa tâche.
- Le professionnel se gardera de dire par exemple : « je n’ai rien à déclarer »
Si vous êtes convoqué à la suite d’un rapport que vous avez rédigé, reprenez le contenu de ce rapport.
6. Prévenir le juge si vous ne souhaitez pas comparaître pour éviter d’être recherché par la force publique.
En effet selon l’article 101 du code de procédure pénale, le juge fait citer devant lui toute personne dont la déposition lui paraît utile. Il apprécie seul l’utilité de l’audition d’un témoin. De même, il est le seul à apprécier la validité de l’excuse fondée sur le secret professionnel.
7. Se rappeler que les seules dérogations au secret professionnel sont contenues dans l’article 226-14 du code pénal.
Le «séjour irrégulier» n’en fait pas partie, ni la délivrance d’une carte de séjour, ni même l’accès à la nationalité française.
« Dans ses activités, l’assistant de service social met sa fonction à la disposition des personnes, quels que soient leur race, leur couleur, leur sexe, leur situation, leur religion, leur opinion politique et quels que soient les sentiments que ces personnes lui inspirent. » C’est le principe de la non-discrimination contenu dans l’article 2 du code déontologie de l’ANAS.
En conséquence, l’obligation légale du secret s’impose même à l’égard des « sans papiers. »
8. En cas d’enquête de flagrance ou préliminaire ( article 53 à 74-1 du code de procédure pénale)
L’article 60-2 de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ( Loi Perben ll ) a accordé à la police des pouvoirs exorbitants en matière de saisie en particulier et de coercition ( garde à vue ). Car, la police peut faire des perquisitions sans demander l’avis du parquet alors que dans l’enquête préliminaire, la police est obligée de convoquer les personnes. On ne peut s’y opposer que pour un motif légitime. Il est probable que c’est la jurisprudence qui définira la notion du « motif légitime. »
Le professionnel requis doit s’assurer de l’objet de la réquisition et qu’il est bien requis par une personne ayant la qualité d’officier de police judiciaire.
Il doit s’assurer également que les documents saisis correspondent à l’objet de la réquisition.
Il est également conseillé de prévenir la hiérarchie.
Il est souhaitable que chaque service ait réfléchi au préalable à une procédure en cas de saisie pour ne pas se demander ce qu’il faut faire le jour de l’enquête.
Ne pas hésiter avec l’assistance d’un avocat à contester la réalité de la flagrance si vous estimez que les conditions d’une flagrance ne sont pas réunies à savoir le crime ou délit vient de se commettre( moins de 24 heures selon la jurisprudence), le crime ou délit se commet actuellement( doit être révélé par un indice apparent préalablement découvert).
9. Connaître le règlement intérieur de son institution ainsi que les procédures internes, sous réserve qu’il en existe.
S’il existe une charte éthique, même si les chartes n’ont pas de juridicité particulière, elles sont normatives. Nous conseillons aux professionnels de l’appliquer pour ne pas être en porte à faux avec son institution ou service. Il convient cependant de vérifier que le règlement ou la charte est conforme aux obligations légales et déontologiques citées ci-dessus.
10. Reprendre et noter par écrit aussitôt l’audition terminée le contenu de l’interrogatoire, en se rappelant notamment des termes employés inscrits sur le procès verbal d’audition que vous avez signé.
En effet vous pouvez être convoquée à l’avenir pour témoigner lors d’un procès susceptible de se dérouler plusieurs mois voire plusieurs année après votre audition. Vos notes vous seront alors très précieuses pour rappeler ce que vous aviez déclaré à l'origine. (il est aussi possible de prendre connaissance du PV d’audition avant le procès mais ce n’est pas toujours le cas).
Conclusion
La connaissance de la procédure et de ce qu’est le secret professionnel constitue un élément essentiel pour chaque professionnel, lequel reste responsable de ses actes et de ses propos. La situation d’audition peut se révéler une expérience humainement éprouvante. Il n’est pas rare qu’une forte pression psychologique soit exercée sur le professionnel. Il peut même y avoir mise en examen comme ce fut le cas lors de l’affaire de Belfort. Mais mise en examen ne signifie pas automatiquement « poursuites judiciaires». D’où l’importance d’être au clair avec son cadre d’intervention et le cadre juridique.
Cependant, les situations de témoignages ne se résument pas aux dérives que nous dénonçons. L’amélioration des relations des services sociaux avec la justice ou la police passe par une connaissance réciproque du travail des uns et des autres qui rétablirait la confiance. Afin de préserver les droits des usagers, les professionnels doivent être préparés par une formation permanente compte tenu de l’évolution incessante du droit. La volonté de punir ne devrait pas transformer les services sociaux en officines des renseignements pour la police. Car, cela serait tout à fait dommageable et contre productif pour l’Etat. Ce seul soupçon de travailler pour la police ferait perdre aux travailleurs sociaux la confiance des usagers. Or, sans relation de confiance, point de travail social.
Vendredi 19 octobre 2007
Pour le Conseil d’Administration de l’A.N.A.S.
Paola PARAVANO et Luki MUNDAYA