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Vous pouvez découvrir ce dossier en cliquant sur ce lien qui vous permet d'aller sur le site de l'ANAS-LR
voici les propositions de l'ANAS issues de ce dossier :
Propositions pour un travail partenarial inscrit dans un cadre éthique et compatible avec le cadre légal
« L'ANAS invite avec toute la force nécessaire chaque Travailleur Social à son devoir de lutte contre les arbitraires rencontrés au quotidien. Il n'y a pas de fatalité en la matière, la résistance à ce genre de pratiques est un devoir. Il appartient aux Travailleurs Sociaux de se rapprocher des associations d'usagers, de les informer des pratiques arbitraires qu'ils constatent et de lutter à leurs côtés.
Le Travail Social a pour but d'aider les usagers à se redresser et d'être à leurs côtés pour les aider à retrouver leur dignité. La lutte contre l'arbitraire participe à ce processus. »
Du bon usage du partage de l'information, E. TANGUY, Article paru dans la Revue Française de Service Social - N° 205, juin 2002.
Ce qu'exige un travail partenarial[3]
Un repérage préalable des complémentarités, donc des différences.
Souvent, et ce fut le cas dans les groupes CLS de Montpellier, la tentative consiste à gommer les frontières et différences des institutions. On place un objectif apparemment commun, sans définir le sens que l'on met derrière les mots. Or, Prévention ne signifie pas la même chose pour l'ONU ou ERM, pour des éducateurs de rue ou Nicolas Sarkozy, pour ACM ou la DSD, etc. Cette stratégie consiste en général à faire croire que l'on pense tous la même chose. La séduction démagogique est une des formes repérée de manipulation[4].
Les différences concernent le cadre légal, les missions, les fonctionnements mais aussi l'éthique et la déontologie. Le risque est que, au nom du partenariat, on considère que l'absence de conflit et le consensus à tout prix peuvent faciliter le travail en commun.
C'est à partir de ce repérage que ce qui est possible ou pas va se clarifier. Ce qui oblige aussi à bien repérer les limites de la notion de secret partagé.
La question du Secret Partagé
Débattue par le Parlement lors de la préparation du Nouveau Code Pénal (loi du 22 juillet 1992), et alors que le secret partagé était inscrit dans le projet de loi, les députés ont refusé de consacrer cette notion en raison de son caractère trop imprécis.
Dans le secteur médical, l'article L.1110-4 du Code de la Santé Publique prévoit que :
« ( .) Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d'assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. (.) »
La circulaire Santé-Justice du 21 juin 1996 tente de donner un mode d'emploi du partage du secret : " Il convient, dans cette hypothèse, de ne transmettre que les éléments nécessaires, de s'assurer que l'usager concerné est d'accord pour cette transmission ou tout au moins qu'il en a été informé ainsi que des éventuelles conséquences que pourra avoir cette transmission d'informations et de s'assurer que les personnes à qui cette transmission est faite sont soumises au secret professionnel et ont vraiment besoin, dans l'intérêt de l'usager, de ces informations.
Le professionnel décidant de l'opportunité de partager un secret devra également s'assurer que les conditions de cette transmission (lieu, modalités), présentent toutes les garanties de discrétion ".
Le rapport du Dr MARCELLI[5] devant le Conseil national de l'Ordre des Médecins en mai 1998 ne dit pas autre chose.
Par contre, s'il y a devoir de se taire, il y a parfois nécessité de parler.
Les conditions de la transmission d'information définies par la circulaire Santé - Justice du 21 juin 1996 constituent une référence utile pour le social.
En clair, refus du secret partagé mais partage de certaines informations à partir de garanties fortes possibles. Il reste à les rappeler clairement.
Les grands principes de l'échange d'information en travail social
Ils découlent du cadre légal et déontologique, du sens du travail social et de la responsabilité de ses acteurs.
Au niveau du cadre légal, nous savons que le devoir de protection prime sur le respect de la vie privée. Ainsi, par exemple, l'assistance à personne en danger (art. 223-6 du Code Pénal) prime sur l'obligation de secret professionnel. Le cadre légal offre des garanties essentielles. Les procédures existantes (signalement d'enfant en danger ou d'adulte vulnérable, etc.) sont sans doute améliorables mais fonctionnent généralement bien, dans le respect des textes de loi.
Comme le souligne C. GARCETTE[6], les travailleurs sociaux tenus au secret professionnel ont une obligation de compétence. Les dispositifs évoqués plus haut leur confient l'évaluation des situations. A partir de celle-ci, ils ont la liberté et la responsabilité de signaler ou pas une situation à la justice ou la police, les moyens pouvant permettre une intervention hors-signalement.
L'article 18 du Code de déontologie des assistants de service social prévoit que « . l'assistant de service social limite les informations personnalisées qu'il apporte aux seuls éléments qu'il estime indispensables . » et l'article 19 précise que dans les instances partenariales, l'assistant de service social « veille plus particulièrement à la confidentialité des informations conformément au droit des usagers. » Tout n'est donc pas à dire ou à partager. Dans le cas du CLS de Montpellier, il convient de rappeler que le seul cadre légal suffit à répondre à l'ensemble des questions, sans même avoir recours à un code de déontologie !
Enfin, quel est le sens du travail social ? Est-ce celui de « récupérer » sous couvert du secret des informations qu'ils vont donner ailleurs et qui stigmatisent leurs usagers et les disqualifient ? Poser la question, c'est déjà y répondre. Le travail social, c'est faire avec les personnes, pas à leur place et encore moins sur injonction inscrite dans une feuille de route. Chacun est sujet de droit, pas seulement objet. Cela permet des changements véritables et utiles à la société. Cela ne signifie pas un positionnement teinté d'angélisme, mais de distinguer où est la place du travail social, et où elle n'est pas.
Les 5 questions à se poser comme préalable à un travail partenarial[7]
1 Sur la nature du partage de l'information : quel est l'objectif de partage, sert-il l'intérêt de l'usager, doit-il servir à une concertation ou aboutir à une décision ?
La détermination de l'objectif permet de sélectionner les informations nécessaires pour parvenir à l'objectif.
2 Sur les partenaires : A qui est transmise l'information, à des professionnels tenus ou pas au secret professionnel, des partenaires de travail en interne ou alors en externe ?
Selon la réponse à cette question peuvent découler des réserves dans la transmission.
3 Sur la situation d'échange : Cela se fera t-il en groupe restreint ou large, avec des autorités « fortes » ou pas ?
Il s'agit de repérer les risques de dérives liées à la soumission à l'autorité ou à la dynamique des groupes. Ce point est trop souvent méconnu ou sous-estimé.
4 Que vont devenir les informations que je transmets, resteront-elles au stade oral ou vont-elles servir de support à un rapport écrit ou informatisé ?
Une fois l'information donnée, nous n'en avons plus la maîtrise. L'autre peut en faire ce qu'il en veut et faire des dégâts pour les personnes. Du côté professionnel, nous restons responsables pénalement de cette transmission. Il faut donc se poser se demander avant la transmission ce que l'autre peut faire des informations.
5 L'usager est-il d'accord ou au moins au courant de ce que nous allons transmettre de lui ?
Selon la tonalité des réponses à ces 5 questions, nous pouvons nous positionner de multiples façons sur une palette allant de l'absence totale de partenariat à un partenariat fort.
Les 5 questions et le CLS Montpellier
A partir de ce que nous savons sur le CLS de Montpellier, il est possible de répondre aux 4 questions. Cela permet de se positionner professionnellement sur l'échange ou pas d'informations.
1 Sur la nature du partage de l'information : quel est l'objectif de partage, doit-il servir à une concertation ou aboutir à une décision ?
Quel est l'objectif du partage ? Une bonne question à laquelle nombre de travailleurs sociaux ne pouvaient durant longtemps répondre. Dans certains services, ils n'étaient pas informés de la simple existence de cette instance. Quand ils l'étaient, peu avaient les moyens de se positionner car l'information s'avérait très insuffisante. Aujourd'hui, vu la commande de la Préfecture (cas nominatifs, fauteurs de troubles, etc.) et ce que nous savons des dérives de 2002, le refus de participer à un tel fonctionnement constitue la seule réponse possible. Deux modalités de positions cohérentes peuvent exister : participation active contre les dérives (il y a là aussi un devoir de parler) ou refus de participation argumenté (s'excuser de son absence ne suffit pas.).
2 Sur les partenaires : A qui est transmise l'information, à des professionnels tenus ou pas au secret professionnel, des partenaires de travail en interne ou alors en externe ?
La disparité des participants au CLS est déjà une limite forte. Les enseignants et les responsables d'établissements ne sont par exemple pas tenus au secret professionnel. D'autres sont sur des versants plutôt répressifs que préventifs : le Parquet et la Police Nationale se situent d'abord dans ce rôle. Elément renforçateur de cette tendance, l'absence d'invitation donc de présence des Juges des Enfants. De plus, tous les partenaires sont externes aux services sociaux : nul ne connaît finement les rouages des autres institutions ni l'éthique réelle de fonctionnement des personnes. Le discours affiché dans les groupes ne garantit rien ! L'éthique est souvent une belle déclaration éloignée de la pratique réelle. Le nombre de participants qui vont tous entendre des informations qui ne les concernent pas nécessairement mais risquent de les intéresser, constitue un cadre dangereux. Et la présence de seuls cadres, avec l'absence totale des principaux « confidents » ajoute à la prudence légitime des travailleurs sociaux.
3 Sur la situation d'échange : Cela se fera t-il en groupe restreint ou large, avec des autorités « fortes » ou pas ?
Clairement, les rôles joués par la Préfecture, la Police nationale et le Procureur de la république sont centraux. Là aussi, seule une participation active, tenue par plusieurs représentants capables de porter une position institutionnelle exigeante quant au respect des personnes peut légitimer une participation. Ce ne fut pas le cas jusqu'alors. Les éléments mis à jour et le débat qu'ils génèrent sont une occasion de réajuster les positionnements.
4 Que vont devenir les informations que je transmets, resteront-elles au niveau oral ou vont-elles servir de support à un rapport écrit ou informatisé ?
Là, comme nous l'avons vu, c'est le grand flou. Et ce que nous entrevoyons n'est pas rassurant.
5 L'usager est-il d'accord ou au moins au courant de ce que nous allons transmettre de lui ?
Non. C'est même une volonté affichée de ce groupe informel qui préconise des pratiques illégales.
En 2002 comme en 2004, le cadre de ces groupes est inacceptable. En 2004, le fait de regrouper ces groupes dans le cadre du CLS est par ailleurs déjà hors la loi.
Des propositions pour le CLS
Bien loin des affirmations du Préfet et du procureur de la République, plusieurs formes de travail dans le cadre d'un CLS peuvent exister et s'avérer efficaces. En voici quelques-unes qui peuvent se compléter ou s'exclure :
- Création d'un médiateur saisissable par les institutions quand elles rencontrent des problèmes avec un partenaire sur des situations précises. Le médiateur aura pour mission d'interpeller l'autre institution, de comprendre, de saisir ses responsables si besoin et de donner des éléments de réponse à l'institution l'ayant saisi.
- Interrogation par les partenaires des autres institutions sur leurs fonctionnements.
- Des thèmes spécifiques forts intéressants et en rapport avec les objectifs peuvent être abordés. Si nous considérons l'exemple de l'éducation nationale, cela pourrait donner : absentéisme scolaire et politiques des établissements ; existence ou pas des comités d'Education à la Santé et à la Citoyenneté prévus par les textes réglementaires (cf Bulletin Officiel de l'Education Nationale n°28 du 9 juillet 1998) qui sont de véritables instances de prévention ; outils et moyens de prévention spécialisée développés par le Conseil Général ; cause des tensions entre la police et des habitants ; existence de caïds de quartier et utilisation d'indicateurs par la Police nationale ; sentiment d'insécurité, insécurité et délais d'interventions des équipages de Police ; etc. Pour chacun de ces thèmes, des améliorations concrètes sont possibles, loin des simples incantations. Un groupe multipartenarial doit travailler en intégrant la complexité des problèmes plutôt qu'en les simplifiant à outrance[8].
- Ces thèmes peuvent être illustrés d'études de cas totalement anonymés permettant l'amorce d'une analyse critique des fonctionnements d'institutions. Ce travail est source de meilleure connaissance et donc de compréhension. De plus, cela permet que chaque institution améliore sa communication voire son fonctionnement.
Ces modalités, et d'autres qu'il convient de définir, devraient satisfaire tous les participants qui ne sont pas là pour faire de la dénonciation masquée ou pour recueillir de l'information dans un but purement répressif.
[1] Un des trois postulats de l'analyse stratégique développé par les sociologues spécialisés dans les organisations traite de cette question. Voir par exemple La sociologie des organisations, P. Bernoux, Ed. du Seuil.
[2] Sud Ouest, 8 avril 2004.
[3] Voir Partage de l'information et secret professionnel : concilier les aspects juridiques, éthiques et déontologiques. Christine GARCETTE, Revue Française de Service Social, n°205, juin 2002.
[4] Cf La parole manipulée, Philippe Breton, Coll. Essais, Ed. La Découverte Poche, 1997, 2000, page 82.
[5] Le secret partagé, Docteur Aline MARCELLI, rapport adopté lors de la session du conseil national de l'Ordre des Médecins de mai 1998 http://www.web.ordre.medecin.fr/rapport/secretpart.pdf
[6] Voir Partage de l'information et secret professionnel : concilier les aspects juridiques, éthiques et déontologiques. Christine GARCETTE, Revue Française de Service Social, n°205, juin 2002.
[7]On trouvera dans Le secret professionnel en travail social, de Jean-Pierre ROSENCZVEIG et Pierre VERDIER (Ed. Dunod) quatre questions proches proposées par le professeur Giudicelli-Delage, qui rejoignent celles que nous proposons.
[8] En considérant la question de l'absentéisme scolaire, on peut s'en tenir à une analyse du type « c'est la responsabilité des familles et c'est forcément négatif pour l'enfant en terme d'insertion pour l'avenir ». Cependant, nous savons que cette question est aussi liée à d'autres dimensions telles que la politique des établissements qui peut parfois être un facteur fort d'exclusion. Sans oublier non plus que une étude menée sur la Paillade par le sociologue Alain TARIUS montre que a proportion d'embauche des « absentéistes » à 20 ans est supérieure à celle au même âge des élèves sorti du système scolaire et ayant suivi normalement leur scolarité (Source : intervention de M. Alain TARIUS, IRTS Montpellier, le 3 juin 2004. Cf La mondialisation par le bas, Ed. Balland). Etonnant résultat qui doit aussi être intégré à la réflexion.
voici les propositions de l'ANAS issues de ce dossier :
Propositions pour un travail partenarial inscrit dans un cadre éthique et compatible avec le cadre légal
« L'ANAS invite avec toute la force nécessaire chaque Travailleur Social à son devoir de lutte contre les arbitraires rencontrés au quotidien. Il n'y a pas de fatalité en la matière, la résistance à ce genre de pratiques est un devoir. Il appartient aux Travailleurs Sociaux de se rapprocher des associations d'usagers, de les informer des pratiques arbitraires qu'ils constatent et de lutter à leurs côtés.
Le Travail Social a pour but d'aider les usagers à se redresser et d'être à leurs côtés pour les aider à retrouver leur dignité. La lutte contre l'arbitraire participe à ce processus. »
Du bon usage du partage de l'information, E. TANGUY, Article paru dans la Revue Française de Service Social - N° 205, juin 2002.
Ce qu'exige un travail partenarial[3]
Un repérage préalable des complémentarités, donc des différences.
Souvent, et ce fut le cas dans les groupes CLS de Montpellier, la tentative consiste à gommer les frontières et différences des institutions. On place un objectif apparemment commun, sans définir le sens que l'on met derrière les mots. Or, Prévention ne signifie pas la même chose pour l'ONU ou ERM, pour des éducateurs de rue ou Nicolas Sarkozy, pour ACM ou la DSD, etc. Cette stratégie consiste en général à faire croire que l'on pense tous la même chose. La séduction démagogique est une des formes repérée de manipulation[4].
Les différences concernent le cadre légal, les missions, les fonctionnements mais aussi l'éthique et la déontologie. Le risque est que, au nom du partenariat, on considère que l'absence de conflit et le consensus à tout prix peuvent faciliter le travail en commun.
C'est à partir de ce repérage que ce qui est possible ou pas va se clarifier. Ce qui oblige aussi à bien repérer les limites de la notion de secret partagé.
La question du Secret Partagé
Débattue par le Parlement lors de la préparation du Nouveau Code Pénal (loi du 22 juillet 1992), et alors que le secret partagé était inscrit dans le projet de loi, les députés ont refusé de consacrer cette notion en raison de son caractère trop imprécis.
Dans le secteur médical, l'article L.1110-4 du Code de la Santé Publique prévoit que :
« ( .) Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d'assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. (.) »
La circulaire Santé-Justice du 21 juin 1996 tente de donner un mode d'emploi du partage du secret : " Il convient, dans cette hypothèse, de ne transmettre que les éléments nécessaires, de s'assurer que l'usager concerné est d'accord pour cette transmission ou tout au moins qu'il en a été informé ainsi que des éventuelles conséquences que pourra avoir cette transmission d'informations et de s'assurer que les personnes à qui cette transmission est faite sont soumises au secret professionnel et ont vraiment besoin, dans l'intérêt de l'usager, de ces informations.
Le professionnel décidant de l'opportunité de partager un secret devra également s'assurer que les conditions de cette transmission (lieu, modalités), présentent toutes les garanties de discrétion ".
Le rapport du Dr MARCELLI[5] devant le Conseil national de l'Ordre des Médecins en mai 1998 ne dit pas autre chose.
Par contre, s'il y a devoir de se taire, il y a parfois nécessité de parler.
Les conditions de la transmission d'information définies par la circulaire Santé - Justice du 21 juin 1996 constituent une référence utile pour le social.
En clair, refus du secret partagé mais partage de certaines informations à partir de garanties fortes possibles. Il reste à les rappeler clairement.
Les grands principes de l'échange d'information en travail social
Ils découlent du cadre légal et déontologique, du sens du travail social et de la responsabilité de ses acteurs.
Au niveau du cadre légal, nous savons que le devoir de protection prime sur le respect de la vie privée. Ainsi, par exemple, l'assistance à personne en danger (art. 223-6 du Code Pénal) prime sur l'obligation de secret professionnel. Le cadre légal offre des garanties essentielles. Les procédures existantes (signalement d'enfant en danger ou d'adulte vulnérable, etc.) sont sans doute améliorables mais fonctionnent généralement bien, dans le respect des textes de loi.
Comme le souligne C. GARCETTE[6], les travailleurs sociaux tenus au secret professionnel ont une obligation de compétence. Les dispositifs évoqués plus haut leur confient l'évaluation des situations. A partir de celle-ci, ils ont la liberté et la responsabilité de signaler ou pas une situation à la justice ou la police, les moyens pouvant permettre une intervention hors-signalement.
L'article 18 du Code de déontologie des assistants de service social prévoit que « . l'assistant de service social limite les informations personnalisées qu'il apporte aux seuls éléments qu'il estime indispensables . » et l'article 19 précise que dans les instances partenariales, l'assistant de service social « veille plus particulièrement à la confidentialité des informations conformément au droit des usagers. » Tout n'est donc pas à dire ou à partager. Dans le cas du CLS de Montpellier, il convient de rappeler que le seul cadre légal suffit à répondre à l'ensemble des questions, sans même avoir recours à un code de déontologie !
Enfin, quel est le sens du travail social ? Est-ce celui de « récupérer » sous couvert du secret des informations qu'ils vont donner ailleurs et qui stigmatisent leurs usagers et les disqualifient ? Poser la question, c'est déjà y répondre. Le travail social, c'est faire avec les personnes, pas à leur place et encore moins sur injonction inscrite dans une feuille de route. Chacun est sujet de droit, pas seulement objet. Cela permet des changements véritables et utiles à la société. Cela ne signifie pas un positionnement teinté d'angélisme, mais de distinguer où est la place du travail social, et où elle n'est pas.
Les 5 questions à se poser comme préalable à un travail partenarial[7]
1 Sur la nature du partage de l'information : quel est l'objectif de partage, sert-il l'intérêt de l'usager, doit-il servir à une concertation ou aboutir à une décision ?
La détermination de l'objectif permet de sélectionner les informations nécessaires pour parvenir à l'objectif.
2 Sur les partenaires : A qui est transmise l'information, à des professionnels tenus ou pas au secret professionnel, des partenaires de travail en interne ou alors en externe ?
Selon la réponse à cette question peuvent découler des réserves dans la transmission.
3 Sur la situation d'échange : Cela se fera t-il en groupe restreint ou large, avec des autorités « fortes » ou pas ?
Il s'agit de repérer les risques de dérives liées à la soumission à l'autorité ou à la dynamique des groupes. Ce point est trop souvent méconnu ou sous-estimé.
4 Que vont devenir les informations que je transmets, resteront-elles au stade oral ou vont-elles servir de support à un rapport écrit ou informatisé ?
Une fois l'information donnée, nous n'en avons plus la maîtrise. L'autre peut en faire ce qu'il en veut et faire des dégâts pour les personnes. Du côté professionnel, nous restons responsables pénalement de cette transmission. Il faut donc se poser se demander avant la transmission ce que l'autre peut faire des informations.
5 L'usager est-il d'accord ou au moins au courant de ce que nous allons transmettre de lui ?
Selon la tonalité des réponses à ces 5 questions, nous pouvons nous positionner de multiples façons sur une palette allant de l'absence totale de partenariat à un partenariat fort.
Les 5 questions et le CLS Montpellier
A partir de ce que nous savons sur le CLS de Montpellier, il est possible de répondre aux 4 questions. Cela permet de se positionner professionnellement sur l'échange ou pas d'informations.
1 Sur la nature du partage de l'information : quel est l'objectif de partage, doit-il servir à une concertation ou aboutir à une décision ?
Quel est l'objectif du partage ? Une bonne question à laquelle nombre de travailleurs sociaux ne pouvaient durant longtemps répondre. Dans certains services, ils n'étaient pas informés de la simple existence de cette instance. Quand ils l'étaient, peu avaient les moyens de se positionner car l'information s'avérait très insuffisante. Aujourd'hui, vu la commande de la Préfecture (cas nominatifs, fauteurs de troubles, etc.) et ce que nous savons des dérives de 2002, le refus de participer à un tel fonctionnement constitue la seule réponse possible. Deux modalités de positions cohérentes peuvent exister : participation active contre les dérives (il y a là aussi un devoir de parler) ou refus de participation argumenté (s'excuser de son absence ne suffit pas.).
2 Sur les partenaires : A qui est transmise l'information, à des professionnels tenus ou pas au secret professionnel, des partenaires de travail en interne ou alors en externe ?
La disparité des participants au CLS est déjà une limite forte. Les enseignants et les responsables d'établissements ne sont par exemple pas tenus au secret professionnel. D'autres sont sur des versants plutôt répressifs que préventifs : le Parquet et la Police Nationale se situent d'abord dans ce rôle. Elément renforçateur de cette tendance, l'absence d'invitation donc de présence des Juges des Enfants. De plus, tous les partenaires sont externes aux services sociaux : nul ne connaît finement les rouages des autres institutions ni l'éthique réelle de fonctionnement des personnes. Le discours affiché dans les groupes ne garantit rien ! L'éthique est souvent une belle déclaration éloignée de la pratique réelle. Le nombre de participants qui vont tous entendre des informations qui ne les concernent pas nécessairement mais risquent de les intéresser, constitue un cadre dangereux. Et la présence de seuls cadres, avec l'absence totale des principaux « confidents » ajoute à la prudence légitime des travailleurs sociaux.
3 Sur la situation d'échange : Cela se fera t-il en groupe restreint ou large, avec des autorités « fortes » ou pas ?
Clairement, les rôles joués par la Préfecture, la Police nationale et le Procureur de la république sont centraux. Là aussi, seule une participation active, tenue par plusieurs représentants capables de porter une position institutionnelle exigeante quant au respect des personnes peut légitimer une participation. Ce ne fut pas le cas jusqu'alors. Les éléments mis à jour et le débat qu'ils génèrent sont une occasion de réajuster les positionnements.
4 Que vont devenir les informations que je transmets, resteront-elles au niveau oral ou vont-elles servir de support à un rapport écrit ou informatisé ?
Là, comme nous l'avons vu, c'est le grand flou. Et ce que nous entrevoyons n'est pas rassurant.
5 L'usager est-il d'accord ou au moins au courant de ce que nous allons transmettre de lui ?
Non. C'est même une volonté affichée de ce groupe informel qui préconise des pratiques illégales.
En 2002 comme en 2004, le cadre de ces groupes est inacceptable. En 2004, le fait de regrouper ces groupes dans le cadre du CLS est par ailleurs déjà hors la loi.
Des propositions pour le CLS
Bien loin des affirmations du Préfet et du procureur de la République, plusieurs formes de travail dans le cadre d'un CLS peuvent exister et s'avérer efficaces. En voici quelques-unes qui peuvent se compléter ou s'exclure :
- Création d'un médiateur saisissable par les institutions quand elles rencontrent des problèmes avec un partenaire sur des situations précises. Le médiateur aura pour mission d'interpeller l'autre institution, de comprendre, de saisir ses responsables si besoin et de donner des éléments de réponse à l'institution l'ayant saisi.
- Interrogation par les partenaires des autres institutions sur leurs fonctionnements.
- Des thèmes spécifiques forts intéressants et en rapport avec les objectifs peuvent être abordés. Si nous considérons l'exemple de l'éducation nationale, cela pourrait donner : absentéisme scolaire et politiques des établissements ; existence ou pas des comités d'Education à la Santé et à la Citoyenneté prévus par les textes réglementaires (cf Bulletin Officiel de l'Education Nationale n°28 du 9 juillet 1998) qui sont de véritables instances de prévention ; outils et moyens de prévention spécialisée développés par le Conseil Général ; cause des tensions entre la police et des habitants ; existence de caïds de quartier et utilisation d'indicateurs par la Police nationale ; sentiment d'insécurité, insécurité et délais d'interventions des équipages de Police ; etc. Pour chacun de ces thèmes, des améliorations concrètes sont possibles, loin des simples incantations. Un groupe multipartenarial doit travailler en intégrant la complexité des problèmes plutôt qu'en les simplifiant à outrance[8].
- Ces thèmes peuvent être illustrés d'études de cas totalement anonymés permettant l'amorce d'une analyse critique des fonctionnements d'institutions. Ce travail est source de meilleure connaissance et donc de compréhension. De plus, cela permet que chaque institution améliore sa communication voire son fonctionnement.
Ces modalités, et d'autres qu'il convient de définir, devraient satisfaire tous les participants qui ne sont pas là pour faire de la dénonciation masquée ou pour recueillir de l'information dans un but purement répressif.
[1] Un des trois postulats de l'analyse stratégique développé par les sociologues spécialisés dans les organisations traite de cette question. Voir par exemple La sociologie des organisations, P. Bernoux, Ed. du Seuil.
[2] Sud Ouest, 8 avril 2004.
[3] Voir Partage de l'information et secret professionnel : concilier les aspects juridiques, éthiques et déontologiques. Christine GARCETTE, Revue Française de Service Social, n°205, juin 2002.
[4] Cf La parole manipulée, Philippe Breton, Coll. Essais, Ed. La Découverte Poche, 1997, 2000, page 82.
[5] Le secret partagé, Docteur Aline MARCELLI, rapport adopté lors de la session du conseil national de l'Ordre des Médecins de mai 1998 http://www.web.ordre.medecin.fr/rapport/secretpart.pdf
[6] Voir Partage de l'information et secret professionnel : concilier les aspects juridiques, éthiques et déontologiques. Christine GARCETTE, Revue Française de Service Social, n°205, juin 2002.
[7]On trouvera dans Le secret professionnel en travail social, de Jean-Pierre ROSENCZVEIG et Pierre VERDIER (Ed. Dunod) quatre questions proches proposées par le professeur Giudicelli-Delage, qui rejoignent celles que nous proposons.
[8] En considérant la question de l'absentéisme scolaire, on peut s'en tenir à une analyse du type « c'est la responsabilité des familles et c'est forcément négatif pour l'enfant en terme d'insertion pour l'avenir ». Cependant, nous savons que cette question est aussi liée à d'autres dimensions telles que la politique des établissements qui peut parfois être un facteur fort d'exclusion. Sans oublier non plus que une étude menée sur la Paillade par le sociologue Alain TARIUS montre que a proportion d'embauche des « absentéistes » à 20 ans est supérieure à celle au même âge des élèves sorti du système scolaire et ayant suivi normalement leur scolarité (Source : intervention de M. Alain TARIUS, IRTS Montpellier, le 3 juin 2004. Cf La mondialisation par le bas, Ed. Balland). Etonnant résultat qui doit aussi être intégré à la réflexion.