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Quatrième de couverture :
« Depuis qu’elle avait revu Mia, l’histoire de vengeance, non, de “rendre justice”, lui trottait dans la tête. On dit pas vengeance, lui avait dit Mia, c’est pas la même chose, là on se répare, on se rend justice parce que personne d’autre n’est disposé à le faire. Lucie n’avait pas été très convaincue par le choix de mot, mais ça ne changeait pas grand-chose. En écoutant ces récits dans son bureau, son cœur s’emballe, elle aurait envie de crier, de diffuser à toute heure dans le pays un message qui dirait On vous retrouvera. Chacun d’entre vous. On sonnera à vos portes, on viendra à votre travail, chez vos parents, même des années après, même lorsque vous nous aurez oubliées, on sera là et on vous détruira. »
« Depuis qu’elle avait revu Mia, l’histoire de vengeance, non, de “rendre justice”, lui trottait dans la tête. On dit pas vengeance, lui avait dit Mia, c’est pas la même chose, là on se répare, on se rend justice parce que personne d’autre n’est disposé à le faire. Lucie n’avait pas été très convaincue par le choix de mot, mais ça ne changeait pas grand-chose. En écoutant ces récits dans son bureau, son cœur s’emballe, elle aurait envie de crier, de diffuser à toute heure dans le pays un message qui dirait On vous retrouvera. Chacun d’entre vous. On sonnera à vos portes, on viendra à votre travail, chez vos parents, même des années après, même lorsque vous nous aurez oubliées, on sera là et on vous détruira. »
Un premier roman qui dépeint un gang de filles décidant un jour de reprendre comme elles peuvent le contrôle de leur vie.
Marcia Burnier est une autrice franco-suisse de 33 ans, également assistante sociale. Elle a co-créé le zine littéraire féministe It’s Been Lovely but I have to Scream Now et a publié différents textes dans les revues Retard Magazine, Terrain vague et Art/iculation.
Née à Genève, elle a grandi dans les montagnes de Haute-Savoie. Elle a notamment suivi des études de photographie et cinéma à Lyon 2 et vit désormais à Paris, tout en restant profondément passionnée par les loups.
Les Orageuses est son premier roman.
Illustration de couverture : Marianne Acqua
144 pages / 130 x 210 mm
Date de parution : 2 septembre 2020
15 euros TTC
ISBN 9782366245189
Information sur l'ouvrage sur le site de l'éditeur :
https://www.cambourakis.com/tout/litterature/francophone/les-orageuses/
La recension de l'ouvrage par Christophe ANCHÉ :
Le roman Les Orageuses de Marcia Burnier commence dans l’urgence. L’urgence de l’action, de la nécessité de s’échapper, de se sauver, de survivre. L’urgence pour Inès, éducatrice qui vient de subir un viol, de se réfugier dans les bras de son amie Mia, de quitter ses vêtements souillés, de passer sous la douche, de boire du thé fumant, de se lover dans l’écoute bienveillante, de parler dans le chaud de la sécurité retrouvée. Ambiance cinématographique et cadrage 16/9e pour cet incipit affolé. Happé par la force du travelling, le lecteur immergé dans la course entend la respiration de la jeune femme et le bruit de ses pas dans la nuit sans que l’autrice les décrive.
Il n’est pas précisé que « toute ressemblance avec des faits ou des personnages réels ou ayant existé serait pure coïncidence », mais le récit sent le vécu. Assistante sociale, Marcia Burnier travaille auprès de populations éprouvées. Elle poursuit sa tâche et sans doute son engagement par ce récit qui nous régale de sa plume vive et alerte. Elle n’écrit pas comme une assistante sociale, mais l’initié reconnaît dans ses perceptions affinées (de l’espace public hostile, des attentions masculines trop appuyées dans les transports, du relâchement quand on se retrouve entre amies…) la permanente quête de dignité et l’omniprésente attention accordée aux « presque rien » silencieux qui caractérisent les professionnel·le·s du social. Certaines phrases signent cet engagement pour le lecteur attentif : « … elle se lève de table, discrètement, en agrippant son paquet de clopes comme une gamine tiendrait un doudou » (p. 17) ; « Elles avaient crié des slogans ensemble et été boire un chocolat chaud à l’écart et cracher sur les vieux de la CGT et les jeunes mecs en noir, unis par le même mépris des meufs qu’ils portaient en eux » (p. 54) ; « Le système était pourri, ils venaient d’annoncer que la police pourrait faire des descentes dans les centres d’hébergement, ça sentait la mort partout, elle ne pouvait plus dire comme avant qu’il n’y avait pas de risque à aller dormir là-bas, si, si, je vous jure, je peux cracher par terre si vous voulez, les gens ne souriaient presque plus à ses blagues » (p. 95)…
Cependant, le plaisir de lire Les Orageuses outrepasse largement la joie de reconnaître une collègue derrière l’autrice. Il vient aussi de l’irrépressible envie de vivre, du bonheur d’agir et de l’ardeur de la bande de filles dont Mia nous ouvre les portes.
Elles se sont rencontrées à la fac, en soirée ou en manifs, elles ont spontanément fait front commun face à des dragueurs trop insistants, se sont raccompagnées, et elles ont parfois terminé les nuits ensemble, elles ont dansé, couru, bu des bières, et peut-être sniffé des rails de poudre blanche ou avalé des comprimés prohibés. Marcia Burnier reste parfois évasive, mais elle raconte la trame quotidienne de ces jeunes femmes un peu survoltées, réunies par la colère d’être considérées comme des proies, l’exaspération de subir la pression permanente, et condamnées à une vigilance de tous les instants. Car elles partagent la violence subie des rapports imposés, les gestes peut-être un instant désirés mais jamais totalement acceptés, et tout ce tas de contraintes silencieuses pour l’acceptation desquelles elles ont été éduquées. Entre Nina, Léo, Louise, Inès, Lucie et Mia, des liens se tissent. Des connivences s’instaurent. Une confiance indéfectible s’établit, et se mue tout naturellement en complicité. Un pacte explicite les engage : « On vous retrouvera. Chacun d’entre vous. On sonnera à vos portes, on viendra à votre travail, chez vos parents, même des années après, même lorsque vous nous aurez oubliées, on sera là et on vous détruira. »
L’écriture de Marcia Burnier rapproche Les Orageuses de la chronique des scandales rendus invisibles par leur permanence. La banalité du vocabulaire et les formulations sans éclat, le recours à l’écriture de l’expression orale et au registre profane réussissent le tour de force de rendre ce récit joyeux sans être jubilatoire, brutal sans être agressif, orageux sans être tempétueux. Cette réussite nous interpelle sur le fait que le récit est un moyen trop peu utilisé par les travailleurs du social pour diffuser leurs pensées professionnelles. En plus de ses qualités littéraires incontestables, le roman de Marcia Burnier nous rappelle qu’existe sans doute une place un peu oubliée pour la littérature en service social.
Il n’est pas précisé que « toute ressemblance avec des faits ou des personnages réels ou ayant existé serait pure coïncidence », mais le récit sent le vécu. Assistante sociale, Marcia Burnier travaille auprès de populations éprouvées. Elle poursuit sa tâche et sans doute son engagement par ce récit qui nous régale de sa plume vive et alerte. Elle n’écrit pas comme une assistante sociale, mais l’initié reconnaît dans ses perceptions affinées (de l’espace public hostile, des attentions masculines trop appuyées dans les transports, du relâchement quand on se retrouve entre amies…) la permanente quête de dignité et l’omniprésente attention accordée aux « presque rien » silencieux qui caractérisent les professionnel·le·s du social. Certaines phrases signent cet engagement pour le lecteur attentif : « … elle se lève de table, discrètement, en agrippant son paquet de clopes comme une gamine tiendrait un doudou » (p. 17) ; « Elles avaient crié des slogans ensemble et été boire un chocolat chaud à l’écart et cracher sur les vieux de la CGT et les jeunes mecs en noir, unis par le même mépris des meufs qu’ils portaient en eux » (p. 54) ; « Le système était pourri, ils venaient d’annoncer que la police pourrait faire des descentes dans les centres d’hébergement, ça sentait la mort partout, elle ne pouvait plus dire comme avant qu’il n’y avait pas de risque à aller dormir là-bas, si, si, je vous jure, je peux cracher par terre si vous voulez, les gens ne souriaient presque plus à ses blagues » (p. 95)…
Cependant, le plaisir de lire Les Orageuses outrepasse largement la joie de reconnaître une collègue derrière l’autrice. Il vient aussi de l’irrépressible envie de vivre, du bonheur d’agir et de l’ardeur de la bande de filles dont Mia nous ouvre les portes.
Elles se sont rencontrées à la fac, en soirée ou en manifs, elles ont spontanément fait front commun face à des dragueurs trop insistants, se sont raccompagnées, et elles ont parfois terminé les nuits ensemble, elles ont dansé, couru, bu des bières, et peut-être sniffé des rails de poudre blanche ou avalé des comprimés prohibés. Marcia Burnier reste parfois évasive, mais elle raconte la trame quotidienne de ces jeunes femmes un peu survoltées, réunies par la colère d’être considérées comme des proies, l’exaspération de subir la pression permanente, et condamnées à une vigilance de tous les instants. Car elles partagent la violence subie des rapports imposés, les gestes peut-être un instant désirés mais jamais totalement acceptés, et tout ce tas de contraintes silencieuses pour l’acceptation desquelles elles ont été éduquées. Entre Nina, Léo, Louise, Inès, Lucie et Mia, des liens se tissent. Des connivences s’instaurent. Une confiance indéfectible s’établit, et se mue tout naturellement en complicité. Un pacte explicite les engage : « On vous retrouvera. Chacun d’entre vous. On sonnera à vos portes, on viendra à votre travail, chez vos parents, même des années après, même lorsque vous nous aurez oubliées, on sera là et on vous détruira. »
L’écriture de Marcia Burnier rapproche Les Orageuses de la chronique des scandales rendus invisibles par leur permanence. La banalité du vocabulaire et les formulations sans éclat, le recours à l’écriture de l’expression orale et au registre profane réussissent le tour de force de rendre ce récit joyeux sans être jubilatoire, brutal sans être agressif, orageux sans être tempétueux. Cette réussite nous interpelle sur le fait que le récit est un moyen trop peu utilisé par les travailleurs du social pour diffuser leurs pensées professionnelles. En plus de ses qualités littéraires incontestables, le roman de Marcia Burnier nous rappelle qu’existe sans doute une place un peu oubliée pour la littérature en service social.