N°189-190 : "Où en est-on de la professionnalisation du travail social ?"
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ÉDITORIAL
« Nouveaux emplois - nouveaux services », ce programme dénommé de façon réductrice « emplois jeunes » a suscité, dès son lancement par Martine Aubry, Ministre de l'Emploi et de la Solidarité, de nombreuses réactions de la part des travailleurs sociaux.
Confrontés à la montée de la précarité, de l'isolement et de l'exclusion, ils sont en première ligne pour apprécier le bien fondé d'une telle initiative dont la finalité est de recréer de la solidarité et du lien social. Et pourtant, en l'absence de précision sur la nature et le contenu des postes à occuper, ils se sont sentis menacés.
En effet, ne risque-t-on pas d'assister à la création d'emplois jeunes pour occuper des postes de travailleurs sociaux ? d'instituer progressivement une sous-qualification en travail social, tout simplement après avoir permis le développement d'un sous-travail social ?
Tout ceci étant à resituer dans le contexte ambiant où les préoccupations gestionnaires sont hégémoniques et se limitent assez souvent à la quête de résultats ponctuels dans le court terme. Ces interrogations invitent à procéder à un examen de l'état de la professionnalisation en travail social, thème de ce numéro où est posée la question centrale : « Qu'est-ce que le travail social ?
Qu'est-ce qui l'identifie ? Qu'est-ce qui le différencie de l'intervention sociale ? »
Les contributions des auteurs ayant participé à la réalisation de la revue (Directeur de l'Action Sociale, Universitaires, Chercheurs, Sociologues, Formateurs et praticiens) apportent à cette question des éléments de réponse qui s'inscrivent dans la complexité, notion fondamentale en travail social.
Même si l'administration affirme que les « emplois jeunes », en aucun cas, ne viendront occuper des postes qui doivent être confiés à des professionnels, force est de constater que, depuis 20 ans, bénévoles puis opérateurs d'insertion, agents de développement, chefs de projet, agents d'insertion, d'ambiance, de médiation, etc., ont peu à peu inscrits leurs activités en complémentarité, voire en concurrence, avec les travailleurs sociaux « labellisés », c'est-à-dire titulaires d'un diplôme d'État et qui constituent le noyau dur du travail social.
Les nouveaux métiers précités relèvent de l'intervention sociale, nécessitentils pour autant qualification et professionnalisation qui caractérisent le travail social ?
Le débat est ouvert et sociologues, penseurs, « prêcheurs » de toute appartenance ne se sont pas privés : - de prédire, pour les uns, la « mort » prochaine du travail social, pour les autres, - de dénoncer le manque d'adaptation des professions canoniques, taxées d'inefficaces.
Bel exemple d'opportunisme intellectuel car les mauvais augures, d'une manière générale, n'ont jamais défini ce qu'ils entendaient par travail social non différencié de l'intervention sociale et ils ne se sont pas aventurés dans des enquêtes de niveau de satisfaction auprès des usagers qui attendent des professionnels plus de savoir-faire fondé sur des savoirs intellectuels, de la technicité et de l'implication.
Il ne s'agit pas de se contenter de compétences requises mais d'exiger une qualification évolutive que la formation initiale et continue doit permettre de développer dans une logique de promotion de nouvelles fonctions et d'adaptation aux situations sociales en changement constant. La qualification est corollaire de la professionnalisation qui est un processus en évolution permanente comme en attestent trois colloques relatés dans le numéro (Buc-Ressources ADMR - ANCASS).
Produire du lien social et de l'insertion relève d'une volonté politique au sens de politique sociale publique qui ne se traduit pas par une série de dispositifs empilés et accompagnés de gestes techniques dépourvus de finalités sociales peu précises.
Le social se disqualifie en l'absence de messages de politique sociale et dans un contexte de morcellement, le recours à des compétences sectorielles s'intensifie.
Mettre en forme les questions sociales est une pratique quotidienne des travailleurs sociaux qui ne trouvent pas, pour autant, de réponses aux problèmes rencontrés, notamment en raison de la mutation économique en cours.
Est-ce pour autant la preuve d'inefficacité qui relèverait de la seule responsabilité des travailleurs sociaux ? Mauvais procès fait par des détracteurs qui ont complètement intégré la culture néo-libérale et souscrivent à l'idéologie du « A quoi sert le travail social ? » 1.
La connaissance de la structuration des professions sociales et de l'organisation de la formation dans les pays européens est importante dans la mesure où le caractère « généraliste » de la formation initiale d'assistant de service social est affirmé comme une nécessité ainsi que l'obligation de formation continue en prise avec les politiques sociales développées. Même si une réforme prochaine de la formation initiale semble incontournable dans le sens de l'élévation des capacités de coordination, d'animation, de médiation nécessaires au montage de projet, elle ne peut être pensée et organisée uniquement par rapport à un référentiel « métier » défini dans une logique d'adaptation au poste par des services employeurs ou des institutions.
Les instances professionnelles, de formation et, avant tout, les usagers, qui sont à l'origine même de l'élaboration des questions sociales, ont leur contribution à apporter à cette définition, c'est un enjeu démocratique.
Françoise Vanbelle, Rédactrice
1 Revue Esprit n° 3 et 4, 1998