Autres articles
-
Plaidoyer pour les 80 ans de l'ANAS
-
15 organisations de la société civile attaquent l'algorithme de notation de la CNAF devant le Conseil d'État
-
Les assistant·e·s de service social et l’extrême droite
-
Atteintes aux droits des mineurs isolés en France : 27 associations saisissent le Conseil d’État !
-
Dématérialisation et pratiques abusives dans les CAF : lettre ouverte inter-associative à Gabriel Attal
Certes, nous constatons que certains éléments très contestés du rapport préliminaire ont été modifiés :
le schéma sur la « courbe évolutive » du jeune qui au fur et à mesure s’écarte du « droit chemin pour s’enfoncer dans la délinquance » a disparu même si l’explicitation des phases et des actions à mener persiste avec l’ajout de quelques nuances
le multilinguisme, source de tous le maux dans la première version, est maintenant considérée plutôt comme un atout
l’immigration est reconnue dans sa dimension d’enrichissement culturel pour notre pays mais néanmoins associée à la notion de délinquance à plusieurs reprises.
Prévention de la délinquance ou protection de l’enfance ?
Alors que le sujet annoncé est bien la prévention de la délinquance, dans le rapport elle n’occupe qu’une faible place (5 pages). Les chiffres présentés par la commission se réduisent à une demie page (p. 47) et ils manquent de précisions. De ce fait rien de clair n’est dit sur le phénomène de la délinquance. Illustration de cette insuffisance, trois des cinq pages sont consacrées à la reprise in extenso d’un article de l’Express datant de 2001… ! Et encore sans en assumer la responsabilité des propos car il « laisse au rédacteur de l’article la responsabilité des propos recueillis ».
Le rapport se situe en rupture avec la politique répressive de la délinquance déjà élaborée par le gouvernement et dans un registre préventif. Très vite les propos glissent de la prévention de la délinquance à la protection de l’enfance et annonce que « par ailleurs, le gouvernement prépare depuis peu un schéma complet de reforme de la protection de l’enfance ». Ce rapport se veut une contribution. La plus grande partie du rapport est dédiée à l’enfance en difficulté sociale, matérielle et éducative.
Nous assistons donc à un glissement et un amalgame permanent entre prévention et protection, entre délinquance et enfance en difficulté.
Quelle délinquance ?
A aucun moment le rapport ne définit clairement quelle délinquance il s’agit de prévenir. Mais au fil des pages les rapprochements sont saisissants :
« Les problèmes de délinquance intervient à partir de l’âge de 13 ans au collège… » (p41)
« Phase 3, de 7 à 9 ans - lutter efficacement contre les incivilités… »(p. 61)
« Par criminalité organisée il ne faut pas seulement entendre criminalité internationale ou grand banditisme. Il s’agit également de petits trafics tels qu’ils existent aux pieds des immeubles de certains quartiers » (p 51).
Crime, banditisme, délit, incivilité, violence, tout est mis dans le même sac, sans hiérarchisation, sans références légales, pourtant le droit est précis en la matière. Les auteurs présentent comme une différence de degré des éléments qui sont différents par leur nature. Selon la gravité des actes ils ne relèvent pas du tout des mêmes juridictions et n’encourent pas les mêmes peines. Les incivilités et violences de certains jeunes ne peuvent en aucun cas être confondus avec des crimes ou le banditisme organisé.
Ce rapport sur la prévention de la délinquance, imprécis dans la définition de l’objet d’étude, entretient la confusion et le mélange des genres.
Quelle population ?
La population ciblée n’est pas non plus clairement établie. Toutefois un profil se dégage nettement : des familles en difficultés, les parents absents ou plus ou moins défaillants, enfants et jeunes « issus de l’immigration », habitant les cités des banlieues des villes. Voilà les cibles désignées de la prévention de la délinquance. De là à associer délinquance et pauvreté, délinquance et immigration il n’y a qu’un pas que le rapport franchit allégrement en abordant la question de la délinquance par « 2.5 La délinquance et l’immigration ».
En dehors de quelques lignes, la part faite aux véritables problèmes sociaux et aux conditions de vie qu’affronte la population ainsi ciblée n’est pas au niveau de leur impact réel dans ces situations. Comme le dit le CSTS dans son communiqué du 2/12/05 « C’est la question des causes qu’il convient de se poser : cités ghettos dégradées, absence de mixité et de métissage social, échec scolaire, chômage, pauvreté, discriminations raciales, inégalités démultipliées, manque de logement social ». C’est l’exclusion, la fracture sociale, la précarité, le manque de perspectives qui provoquent en grande partie les manifestations de violence que nous avons récemment connus dans certaines villes. Or, dans ce rapport il n’existe aucune analyse des causes sociales et économiques. Le contexte socio économique n’est pas pris en compte dans l’état des lieux ni dans les propositions.
Par contre se dégage une vision exclusivement individualiste où c’est le jeune et la famille qui sont finalement responsables (et peut-être aussi coupables ?) de ce qui leur arrive. Les causes énoncées sont exclusivement individuelles et psychologiques. Ainsi les personnes sont renvoyées à leur propre responsabilité et les défaillances de la société à offrir une place à chacun sont transformées en une mise en cause et une culpabilisation des plus faibles.
Encore pire, c’est la punition qui est préconisé dans la proposition 22 : « La suspension des allocations familiales, pour les parents démissionnaires, pourra être décidée et prolongée par le conseil local de prévention de la délinquance, et les fonds retenus affectés au financement d’un éducateur qui aidera la famille. » Quel éducateur pourra assurer sa mission d’aide aux jeunes en étant payé avec les allocations des familles en difficultés ? Quelle famille pourra améliorer sa situation dans ses conditions ?
Et le travail social ?
L’ANAS note avec satisfaction que sa proposition d’étendre le service social auprès des élèves aux écoles maternelles et primaires a été prise en considération dans le texte (p.37) mais nous constatons avec regret qu’elle n’est pas reprise dans les propositions. Il est dit aussi que les « travailleurs sociaux font un travail souvent remarquable ». Mais l’ensemble du rapport manifeste une méconnaissance complète du travail social, ses caractéristiques, ses missions et son organisation.
Les assistants de service social mentionnés à plusieurs reprises sont cantonnés dans un rôle de dépistage (p.41) alors que orthophonistes et pédopsychiatres sont chargés du diagnostic. C’est bien méconnaître le rôle des assistants sociaux formés pour assurer non seulement le dépistage mais aussi le diagnostic social et l’évaluation globale de la situation des enfants et familles et pour assurer une aide à la personne dans le cadre d’un processus de travail tendant à la transformation et l’amélioration de sa situation. Dans le référentiel professionnel il est dit « l’assistant de service social agit avec les personnes, les familles, les groupes par une approche globale pour :
Améliorer leurs conditions de vie sur le plan social, sanitaire, familial, économique, culturel et professionnel,
Développer leurs propres capacités à maintenir ou restaurer leur autonomie et faciliter leur place dans la société,
Mener avec eux toute action susceptible de prévenir ou de surmonter leurs difficultés. »1
C’est toutefois au niveau du secret professionnel que le rapport est le plus virulent et déterminé. La proposition 24 stipule : « Redéfinir la notion de « secret partagé entre les travailleurs sociaux et le maire » : le partage des informations entre acteurs de la prévention sera autorisé et encouragé, cela dans l’intérêt de la personne qui en bénéficie ; le maire désignera un coordonnateur responsable du partage de l’information, qui sera un référent, sans exercer de pouvoirs de police. »
Les propos de l’ANAS sur l’échange d’informations lors de son audition auprès de M. Bénisti ont été déformés2 et bien des points essentiels ne sont pas compris. La citation (page 38) qui suit en est la démonstration flagrante :
« Les travailleurs sociaux représentés par leur syndicat l’ANAS, ont d’ailleurs beaucoup évolués dans ce sens. Ils seraient désormais d’accord pour partager leur secret professionnel à condition que celui-ci concerne un aspect grave pouvant mettre en péril la vie des intéressés et ensuite que ces derniers accepte la demande de venir en parler essentiellement avec le maire de la commune. »
Outre l’erreur de dire que l’ANAS est un syndicat, la confusion est totale : la levée du secret professionnel en cas de personne en péril n’est pas une nouveauté puisqu’elle est une obligation faite à toute personne, même celles soumises au secret professionnel, par l’article 223-6 du Code Pénal. L’ANAS a au contraire rappelé que cette disposition existe déjà et n’est en aucun cas critiquée par les professionnels. Au-delà de cet aspect juridique, nos propos ont été en partie détournés. Nous ne préconisons pas qu’il y ait contact entre les personnes en difficultés et le maire de la commune. Nous avons simplement rappelé que toute personne pouvait prendre contact avec cet élu pour lui dire ses difficultés et solliciter auprès de lui une aide. Cette rencontre doit rester à l’initiative de la personne.
L’ANAS tient à préciser que les assistants de service social ont une profession réglementée et de ce fait sont soumis au secret professionnel. Le secret professionnel ne peut se partager, par contre le partage des informations, entre professionnels tenus au secret professionnel, peut s’effectuer mais doit être limités aux éléments essentiels strictement nécessaires, toujours dans l’intérêt des personnes et avec leur consentement.
De plus, les travailleurs sociaux ne peuvent intervenir dans un but de contrôle. C’est non seulement contraire à leur déontologie mais aussi inefficace. Quelle confiance auraient ces mêmes travailleurs sociaux de la part de la population ? De fait, cela limiterait la parole des personnes en difficulté et ne permettrait pas aux travailleurs sociaux de mettre en place des actions de prévention et d’accompagnement.
Les propositions
24 propositions partagées en quatre rubriques concluent ce rapport.
Tout d’abord les « propositions de structures pour lutter contre l’éclatement des actions » donnent une place de chef d’orchestre au Maire : « 1. Placer le Maire au cœur de toutes les actions de prévention mises en œuvre : Il préside le CLSPD, qui est l’organe fédérateur de l’action, et qui doit être étendu à toutes les communes concernées par la délinquance ; le maire est clairement désigné comme le pilote en matière d’animation et de coordination de la prévention. »
Le fait de placer les maires au cœur de la nouvelle politique de prévention de la délinquance n’est pas sans risques. Celui-ci est déjà surinvesti de missions quant au bon développement de sa commune. De quels moyens disposera-t-il ? Pourra-t-il agir contre l’exclusion et la constitution de groupes de pression ? Aura-t-il autorité sur les travailleurs sociaux qui sont déjà sous le contrôle direct ou indirect des conseillers généraux ? La politique de la ville a beaucoup souffert des clivages politiques. Il risque d’en être de même lors de l’élaboration d’actions de prévention qui pourront être financées de façon discrétionnaire sans coordination. Enfin le maire est aussi investi d’un pouvoir d’action au sein des établissements scolaires. En étant positionné sur tous les fronts le 1er magistrat d’une commune pourra-t-il raisonnablement faire face à tout ?
Dans ces propositions de structures il y a un grand absent : le Conseil Général. Pourtant c’est bien le département qui a mission de protection de l’enfance, d’aide aux familles, d’insertion et lutte contre l’exclusion. C’est lui qui assure une couverture égalitaire du territoire départemental en matière d’action sociale et d’aide sociale à l’enfance.
Certaines structures proposées semblent pertinentes. Mais il existe souvent de actions déjà en cours qu’il convient de renforcer.
Par contre, la proposition 7 nous semble inacceptable. Il y est proposé de « Généraliser les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD), composés du procureur de la République, du préfet et du maire, du commissaire de police, des travailleurs sociaux de la circonscription, afin de mieux cibler et de mieux surveiller les délinquants récidivistes ; ceci permettra lorsque ces derniers passeront en jugement, de donner au magistrat l’étendue réelle des délits commis au cours des trois années. »
Cette proposition revient à faire de la personne ayant commis un acte de délinquance un suspect à vie. Or :
Soit elle a été condamnée et a purgé sa peine.
Soit elle fait l’objet d’une mesure judiciaire et le magistrat la suit déjà.
Ce type de groupe serait en fait un groupe de pression sur la justice. Ceci est antinomique avec la nécessaire indépendance de cette dernière. Cette recherche permanente d’informations sur la vie de personnes ciblées est aussi contraire au droit à la vie privée de la personne et de son entourage.
Il est aussi proposé ( N° 9) de « Créer un secrétariat d’Etat à la prévention de la délinquance, rattaché au ministère de l’intérieur, afin de donner une autorité politique à l’action menée. Il s’appuiera entièrement sur cette administration. »
Nous pensons que la prévention de la délinquance ne peut relever du seul ministère de l’Intérieur. Parce qu’elle est multifactorielle et possède notamment des causes sociales, ce ministère ne peut en être le pilote.
Certaines « propositions d’intervention plus précoces contre les discriminations » nous ont semblé intéressantes ainsi que celles « visant à placer l’éducation au centre du dispositif de prévention ». Toutefois la proposition de suppression des allocations aux parents démissionnaires ( N° 22), dont nous avons parlé plus haut, est tout à fait inacceptable.
Le dernier groupe de propositions vise « à protéger les habitants des quartiers difficiles contre le situations à risques ». Y sont citées deux propositions : l’une concerne la vidéosurveillance et l’autre « le secret partagé entre les travailleurs sociaux et le maire » dont nous avons déjà parlé. Sans commentaire…
En conclusion
Nous connaissions les risques inhérents à ce type d’échange avec une commission politique de travail : incompréhension de notre approche, de notre fonction, de nos positions voire détournement de nos propos et récupération de notre nom… Nous avons fait le choix de porter nos remarques et propositions en conscience, en disant via des communiqués les objectifs de ces rencontres et leurs résultats3. Nous maintenons notre volonté d’être présents dans tous les lieux où se discutent et se décident les politiques quand bien même notre interlocuteur s’avère au final peu crédible. A minima, cela renforce la possibilité de montrer certaines limites ou de dénoncer des pratiques.
Au-delà de certaines de ses propositions que nous dénonçons, le travail de cette commission est incroyablement inquiétant. Il s’inscrit dans une tendance du gouvernement et de sa majorité à la stigmatisation, la culpabilisation et la punition des personnes en difficulté en les considérant comme responsables de leur souffrance, présente dans certaines propositions gouvernementales. Le rapport sur la « prévention de la délinquance » en est un parmi d’autres.
L’ANAS appelle les professionnels du travail social à veiller constamment au respect des droits des personnes, notamment le droit à la vie privée, et de refuser toute pratique de contrôle, de punition ou de stigmatisation des personnes en difficulté4. Leur mission est de « aider les personnes ou les groupes sociaux qui, pour des raisons diverses, ne participent plus à toutes les dimensions de la vie sociale, à retisser la trame des liens de réciprocité avec autrui. Le travailleur social contribue à les rendre autonomes pour exercer pleinement leurs responsabilités de citoyens »5.
notes
1- Décret n° 2004-533 du 11juin 2004, et Arrêté du 29 juin 2004, voir ASH N° 2370 du 27 août 2004
2- Voir communiqué de l’ANAS du 2/12/05 sur notre site http://anas.travail-social.com
3- Voir les différents communiqués sur notre site cité plus haut.
4- Rappelons les articles 7 et 15 du Code de déontologie :
Art. 7 – De l’indépendance et de la liberté : L’Assistant de Service Social ne peut accepter d’exercer sa profession dans des conditions qui compromettraient la qualité de ses interventions. Il doit donc être attentif aux formes et conditions de travail qui lui sont proposées et aux modifications qui pourraient survenir.
Art. 15 – L’Assistant de Service Social ne doit pas accepter d’intervenir, ni de fournir des renseignements dans un but de contrôle.
5- Rapport du Conseil Economique et Social - Rapporteur M. Daniel LORTHOIS - Mutations de la société et Travail Social - assemblée plénière des 23 et 24 mai 2000
le schéma sur la « courbe évolutive » du jeune qui au fur et à mesure s’écarte du « droit chemin pour s’enfoncer dans la délinquance » a disparu même si l’explicitation des phases et des actions à mener persiste avec l’ajout de quelques nuances
le multilinguisme, source de tous le maux dans la première version, est maintenant considérée plutôt comme un atout
l’immigration est reconnue dans sa dimension d’enrichissement culturel pour notre pays mais néanmoins associée à la notion de délinquance à plusieurs reprises.
Prévention de la délinquance ou protection de l’enfance ?
Alors que le sujet annoncé est bien la prévention de la délinquance, dans le rapport elle n’occupe qu’une faible place (5 pages). Les chiffres présentés par la commission se réduisent à une demie page (p. 47) et ils manquent de précisions. De ce fait rien de clair n’est dit sur le phénomène de la délinquance. Illustration de cette insuffisance, trois des cinq pages sont consacrées à la reprise in extenso d’un article de l’Express datant de 2001… ! Et encore sans en assumer la responsabilité des propos car il « laisse au rédacteur de l’article la responsabilité des propos recueillis ».
Le rapport se situe en rupture avec la politique répressive de la délinquance déjà élaborée par le gouvernement et dans un registre préventif. Très vite les propos glissent de la prévention de la délinquance à la protection de l’enfance et annonce que « par ailleurs, le gouvernement prépare depuis peu un schéma complet de reforme de la protection de l’enfance ». Ce rapport se veut une contribution. La plus grande partie du rapport est dédiée à l’enfance en difficulté sociale, matérielle et éducative.
Nous assistons donc à un glissement et un amalgame permanent entre prévention et protection, entre délinquance et enfance en difficulté.
Quelle délinquance ?
A aucun moment le rapport ne définit clairement quelle délinquance il s’agit de prévenir. Mais au fil des pages les rapprochements sont saisissants :
« Les problèmes de délinquance intervient à partir de l’âge de 13 ans au collège… » (p41)
« Phase 3, de 7 à 9 ans - lutter efficacement contre les incivilités… »(p. 61)
« Par criminalité organisée il ne faut pas seulement entendre criminalité internationale ou grand banditisme. Il s’agit également de petits trafics tels qu’ils existent aux pieds des immeubles de certains quartiers » (p 51).
Crime, banditisme, délit, incivilité, violence, tout est mis dans le même sac, sans hiérarchisation, sans références légales, pourtant le droit est précis en la matière. Les auteurs présentent comme une différence de degré des éléments qui sont différents par leur nature. Selon la gravité des actes ils ne relèvent pas du tout des mêmes juridictions et n’encourent pas les mêmes peines. Les incivilités et violences de certains jeunes ne peuvent en aucun cas être confondus avec des crimes ou le banditisme organisé.
Ce rapport sur la prévention de la délinquance, imprécis dans la définition de l’objet d’étude, entretient la confusion et le mélange des genres.
Quelle population ?
La population ciblée n’est pas non plus clairement établie. Toutefois un profil se dégage nettement : des familles en difficultés, les parents absents ou plus ou moins défaillants, enfants et jeunes « issus de l’immigration », habitant les cités des banlieues des villes. Voilà les cibles désignées de la prévention de la délinquance. De là à associer délinquance et pauvreté, délinquance et immigration il n’y a qu’un pas que le rapport franchit allégrement en abordant la question de la délinquance par « 2.5 La délinquance et l’immigration ».
En dehors de quelques lignes, la part faite aux véritables problèmes sociaux et aux conditions de vie qu’affronte la population ainsi ciblée n’est pas au niveau de leur impact réel dans ces situations. Comme le dit le CSTS dans son communiqué du 2/12/05 « C’est la question des causes qu’il convient de se poser : cités ghettos dégradées, absence de mixité et de métissage social, échec scolaire, chômage, pauvreté, discriminations raciales, inégalités démultipliées, manque de logement social ». C’est l’exclusion, la fracture sociale, la précarité, le manque de perspectives qui provoquent en grande partie les manifestations de violence que nous avons récemment connus dans certaines villes. Or, dans ce rapport il n’existe aucune analyse des causes sociales et économiques. Le contexte socio économique n’est pas pris en compte dans l’état des lieux ni dans les propositions.
Par contre se dégage une vision exclusivement individualiste où c’est le jeune et la famille qui sont finalement responsables (et peut-être aussi coupables ?) de ce qui leur arrive. Les causes énoncées sont exclusivement individuelles et psychologiques. Ainsi les personnes sont renvoyées à leur propre responsabilité et les défaillances de la société à offrir une place à chacun sont transformées en une mise en cause et une culpabilisation des plus faibles.
Encore pire, c’est la punition qui est préconisé dans la proposition 22 : « La suspension des allocations familiales, pour les parents démissionnaires, pourra être décidée et prolongée par le conseil local de prévention de la délinquance, et les fonds retenus affectés au financement d’un éducateur qui aidera la famille. » Quel éducateur pourra assurer sa mission d’aide aux jeunes en étant payé avec les allocations des familles en difficultés ? Quelle famille pourra améliorer sa situation dans ses conditions ?
Et le travail social ?
L’ANAS note avec satisfaction que sa proposition d’étendre le service social auprès des élèves aux écoles maternelles et primaires a été prise en considération dans le texte (p.37) mais nous constatons avec regret qu’elle n’est pas reprise dans les propositions. Il est dit aussi que les « travailleurs sociaux font un travail souvent remarquable ». Mais l’ensemble du rapport manifeste une méconnaissance complète du travail social, ses caractéristiques, ses missions et son organisation.
Les assistants de service social mentionnés à plusieurs reprises sont cantonnés dans un rôle de dépistage (p.41) alors que orthophonistes et pédopsychiatres sont chargés du diagnostic. C’est bien méconnaître le rôle des assistants sociaux formés pour assurer non seulement le dépistage mais aussi le diagnostic social et l’évaluation globale de la situation des enfants et familles et pour assurer une aide à la personne dans le cadre d’un processus de travail tendant à la transformation et l’amélioration de sa situation. Dans le référentiel professionnel il est dit « l’assistant de service social agit avec les personnes, les familles, les groupes par une approche globale pour :
Améliorer leurs conditions de vie sur le plan social, sanitaire, familial, économique, culturel et professionnel,
Développer leurs propres capacités à maintenir ou restaurer leur autonomie et faciliter leur place dans la société,
Mener avec eux toute action susceptible de prévenir ou de surmonter leurs difficultés. »1
C’est toutefois au niveau du secret professionnel que le rapport est le plus virulent et déterminé. La proposition 24 stipule : « Redéfinir la notion de « secret partagé entre les travailleurs sociaux et le maire » : le partage des informations entre acteurs de la prévention sera autorisé et encouragé, cela dans l’intérêt de la personne qui en bénéficie ; le maire désignera un coordonnateur responsable du partage de l’information, qui sera un référent, sans exercer de pouvoirs de police. »
Les propos de l’ANAS sur l’échange d’informations lors de son audition auprès de M. Bénisti ont été déformés2 et bien des points essentiels ne sont pas compris. La citation (page 38) qui suit en est la démonstration flagrante :
« Les travailleurs sociaux représentés par leur syndicat l’ANAS, ont d’ailleurs beaucoup évolués dans ce sens. Ils seraient désormais d’accord pour partager leur secret professionnel à condition que celui-ci concerne un aspect grave pouvant mettre en péril la vie des intéressés et ensuite que ces derniers accepte la demande de venir en parler essentiellement avec le maire de la commune. »
Outre l’erreur de dire que l’ANAS est un syndicat, la confusion est totale : la levée du secret professionnel en cas de personne en péril n’est pas une nouveauté puisqu’elle est une obligation faite à toute personne, même celles soumises au secret professionnel, par l’article 223-6 du Code Pénal. L’ANAS a au contraire rappelé que cette disposition existe déjà et n’est en aucun cas critiquée par les professionnels. Au-delà de cet aspect juridique, nos propos ont été en partie détournés. Nous ne préconisons pas qu’il y ait contact entre les personnes en difficultés et le maire de la commune. Nous avons simplement rappelé que toute personne pouvait prendre contact avec cet élu pour lui dire ses difficultés et solliciter auprès de lui une aide. Cette rencontre doit rester à l’initiative de la personne.
L’ANAS tient à préciser que les assistants de service social ont une profession réglementée et de ce fait sont soumis au secret professionnel. Le secret professionnel ne peut se partager, par contre le partage des informations, entre professionnels tenus au secret professionnel, peut s’effectuer mais doit être limités aux éléments essentiels strictement nécessaires, toujours dans l’intérêt des personnes et avec leur consentement.
De plus, les travailleurs sociaux ne peuvent intervenir dans un but de contrôle. C’est non seulement contraire à leur déontologie mais aussi inefficace. Quelle confiance auraient ces mêmes travailleurs sociaux de la part de la population ? De fait, cela limiterait la parole des personnes en difficulté et ne permettrait pas aux travailleurs sociaux de mettre en place des actions de prévention et d’accompagnement.
Les propositions
24 propositions partagées en quatre rubriques concluent ce rapport.
Tout d’abord les « propositions de structures pour lutter contre l’éclatement des actions » donnent une place de chef d’orchestre au Maire : « 1. Placer le Maire au cœur de toutes les actions de prévention mises en œuvre : Il préside le CLSPD, qui est l’organe fédérateur de l’action, et qui doit être étendu à toutes les communes concernées par la délinquance ; le maire est clairement désigné comme le pilote en matière d’animation et de coordination de la prévention. »
Le fait de placer les maires au cœur de la nouvelle politique de prévention de la délinquance n’est pas sans risques. Celui-ci est déjà surinvesti de missions quant au bon développement de sa commune. De quels moyens disposera-t-il ? Pourra-t-il agir contre l’exclusion et la constitution de groupes de pression ? Aura-t-il autorité sur les travailleurs sociaux qui sont déjà sous le contrôle direct ou indirect des conseillers généraux ? La politique de la ville a beaucoup souffert des clivages politiques. Il risque d’en être de même lors de l’élaboration d’actions de prévention qui pourront être financées de façon discrétionnaire sans coordination. Enfin le maire est aussi investi d’un pouvoir d’action au sein des établissements scolaires. En étant positionné sur tous les fronts le 1er magistrat d’une commune pourra-t-il raisonnablement faire face à tout ?
Dans ces propositions de structures il y a un grand absent : le Conseil Général. Pourtant c’est bien le département qui a mission de protection de l’enfance, d’aide aux familles, d’insertion et lutte contre l’exclusion. C’est lui qui assure une couverture égalitaire du territoire départemental en matière d’action sociale et d’aide sociale à l’enfance.
Certaines structures proposées semblent pertinentes. Mais il existe souvent de actions déjà en cours qu’il convient de renforcer.
Par contre, la proposition 7 nous semble inacceptable. Il y est proposé de « Généraliser les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD), composés du procureur de la République, du préfet et du maire, du commissaire de police, des travailleurs sociaux de la circonscription, afin de mieux cibler et de mieux surveiller les délinquants récidivistes ; ceci permettra lorsque ces derniers passeront en jugement, de donner au magistrat l’étendue réelle des délits commis au cours des trois années. »
Cette proposition revient à faire de la personne ayant commis un acte de délinquance un suspect à vie. Or :
Soit elle a été condamnée et a purgé sa peine.
Soit elle fait l’objet d’une mesure judiciaire et le magistrat la suit déjà.
Ce type de groupe serait en fait un groupe de pression sur la justice. Ceci est antinomique avec la nécessaire indépendance de cette dernière. Cette recherche permanente d’informations sur la vie de personnes ciblées est aussi contraire au droit à la vie privée de la personne et de son entourage.
Il est aussi proposé ( N° 9) de « Créer un secrétariat d’Etat à la prévention de la délinquance, rattaché au ministère de l’intérieur, afin de donner une autorité politique à l’action menée. Il s’appuiera entièrement sur cette administration. »
Nous pensons que la prévention de la délinquance ne peut relever du seul ministère de l’Intérieur. Parce qu’elle est multifactorielle et possède notamment des causes sociales, ce ministère ne peut en être le pilote.
Certaines « propositions d’intervention plus précoces contre les discriminations » nous ont semblé intéressantes ainsi que celles « visant à placer l’éducation au centre du dispositif de prévention ». Toutefois la proposition de suppression des allocations aux parents démissionnaires ( N° 22), dont nous avons parlé plus haut, est tout à fait inacceptable.
Le dernier groupe de propositions vise « à protéger les habitants des quartiers difficiles contre le situations à risques ». Y sont citées deux propositions : l’une concerne la vidéosurveillance et l’autre « le secret partagé entre les travailleurs sociaux et le maire » dont nous avons déjà parlé. Sans commentaire…
En conclusion
Nous connaissions les risques inhérents à ce type d’échange avec une commission politique de travail : incompréhension de notre approche, de notre fonction, de nos positions voire détournement de nos propos et récupération de notre nom… Nous avons fait le choix de porter nos remarques et propositions en conscience, en disant via des communiqués les objectifs de ces rencontres et leurs résultats3. Nous maintenons notre volonté d’être présents dans tous les lieux où se discutent et se décident les politiques quand bien même notre interlocuteur s’avère au final peu crédible. A minima, cela renforce la possibilité de montrer certaines limites ou de dénoncer des pratiques.
Au-delà de certaines de ses propositions que nous dénonçons, le travail de cette commission est incroyablement inquiétant. Il s’inscrit dans une tendance du gouvernement et de sa majorité à la stigmatisation, la culpabilisation et la punition des personnes en difficulté en les considérant comme responsables de leur souffrance, présente dans certaines propositions gouvernementales. Le rapport sur la « prévention de la délinquance » en est un parmi d’autres.
L’ANAS appelle les professionnels du travail social à veiller constamment au respect des droits des personnes, notamment le droit à la vie privée, et de refuser toute pratique de contrôle, de punition ou de stigmatisation des personnes en difficulté4. Leur mission est de « aider les personnes ou les groupes sociaux qui, pour des raisons diverses, ne participent plus à toutes les dimensions de la vie sociale, à retisser la trame des liens de réciprocité avec autrui. Le travailleur social contribue à les rendre autonomes pour exercer pleinement leurs responsabilités de citoyens »5.
notes
1- Décret n° 2004-533 du 11juin 2004, et Arrêté du 29 juin 2004, voir ASH N° 2370 du 27 août 2004
2- Voir communiqué de l’ANAS du 2/12/05 sur notre site http://anas.travail-social.com
3- Voir les différents communiqués sur notre site cité plus haut.
4- Rappelons les articles 7 et 15 du Code de déontologie :
Art. 7 – De l’indépendance et de la liberté : L’Assistant de Service Social ne peut accepter d’exercer sa profession dans des conditions qui compromettraient la qualité de ses interventions. Il doit donc être attentif aux formes et conditions de travail qui lui sont proposées et aux modifications qui pourraient survenir.
Art. 15 – L’Assistant de Service Social ne doit pas accepter d’intervenir, ni de fournir des renseignements dans un but de contrôle.
5- Rapport du Conseil Economique et Social - Rapporteur M. Daniel LORTHOIS - Mutations de la société et Travail Social - assemblée plénière des 23 et 24 mai 2000