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Paris, le 17 avril 2018
Avec SIREVA, souriez, vous êtes fichés
Ou quand une grille d'évaluation s'empare de votre vie privée
L'Association nationale des assistants de service social (ANAS) a été interpellée par des collègues assistants de service social des différentes régions de France travaillant dans les caisses d'assurance retraite (Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail CARSAT, Mutualité Sociale Agricole MSA), le collectif CPASETS [1] et des professionnels des sites évaluateurs conventionnés avec ces caisses. Tous s'interrogent sur l'utilisation d'un support d'évaluation des personnes âgées à domicile : le logiciel SIREVA (Support Inter-Régimes d’EVAluation). Il inclut une grille « prédictive » FRAGIRE (voir document joint) qui comprend 16 pages, près de 220 items dont 3 tests (2 tests cognitifs et 1 test de marche) et une grille d’évaluation de l’autonomie (AGGIR).
S’inscrivant dans les objectifs de la loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, dans le cadre de leur politique de prévention, la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV), la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (CCMSA) et le Régime Social des Indépendants (RSI) ont décidé de se doter d’un outil commun : le dossier SIREVA. Il doit leur permettre de proposer aux retraités les plus autonomes (classés GIR [2] 5 et 6), demandant une aide pour le maintien à domicile ou financière, les réponses les plus adaptées pour prévenir la dépendance.
Se voulant complémentaire à la grille nationale AGGIR utilisée par les conseils départementaux pour évaluer le degré de perte d’autonomie d’une personne âgée, un outil dit « prédictif » de la fragilité, la grille FRAGIRE, a été élaboré par le Pôle Gérontologique Interrégional de Bourgogne Franche Comté sans qu’il ne soit jugé opportun d’y associer des professionnels travailleurs sociaux.
Le dossier SIREVA est ainsi déployé progressivement par les caisses de retraite pour, selon elles, d'une part étoffer l'offre de services aux retraités et d'autre part, abonder une étude qui doit permettre de tester le caractère prédictif du score de fragilité pour l'entrée en dépendance.
Les caisses de retraite présentent l'outil comme devant permettre aux évaluateurs de prioriser les aides à apporter en fonction du degré de fragilité, proposer des orientations vers des prises en charge spécialisées, participer à l'homogénéisation des pratiques, dans l'objectif de favoriser un maintien à domicile optimal.
Malgré l'affichage d'un objectif très louable, l'utilisation de la grille au domicile des personnes inquiète et questionne à plusieurs niveaux.
En effet, à la lueur des documents et témoignages qui nous sont parvenus, il apparaît que :
II – Les inquiétudes des professionnels en 3 points
A – Le recueil de données est-il conforme à la loi « Informatique et Libertés » ?
La loi « Informatique et Libertés » énonce 5 principes à respecter lors de la création d’un fichier comportant des informations personnelles. Or, ces différents principes semblent à clarifier dans le cas de SIREVA :
1 – Le principe de respect des droits des personnes
Selon la loi informatique et libertés, le consentement de la personne concernée par le traitement des données personnelles doit être libre, explicite, éclairé et non équivoque.
Or, à aucun moment les personnes ne sont avisées par la caisse de retraite que les réponses aux questions qui leur seront posées seront consignées dans un logiciel informatique nominatif.
D’autant qu’en amont de la visite à domicile de l’évaluateur, la personne n’a pas connaissance qu’elle devra répondre à un questionnaire et que les données seront informatisées.
Le droit d’opposition :
Si, à l'issue des visites, l'évaluateur fait signer un document aux personnes dans lequel il est effectivement mentionné qu'elles ont un droit d'accès et de rectification aux données, la mention est libellée dans une taille de caractère tellement petite que des personnes âgées peuvent éprouver des difficultés à la lire.
De plus, aucun duplicata de ce document ne leur est remis ce qui rend très improbable l'exercice de ce droit.
Des données transmises à des structures externes :
Certains retraités ont été surpris d’être sollicités par un service conventionné se prévalant de l’évaluateur leur proposant des prestations qui n’étaient pas prévues dans le plan d’aide.
Les professionnels ont ainsi découvert que les listes des personnes âgées bénéficiant d'un plan d'aide étaient adressées à des structures avec lesquelles les caisses de retraite avaient passé convention.
Les coordonnées des personnes sont donc transmises à leur insu à des tiers qui proposeront une prestation.
2 – Le principe de sécurité et de confidentialité
Des données accessibles :
Les données collectées lors des visites par les Assistants de Service social ou d’autres professionnels évaluateurs sont des données particulièrement sensibles puisqu’elles ont trait pour partie à la santé. Elles sont inscrites dans un logiciel et adressées à un service régional. Ce sont des agents administratifs qui vont recevoir ces données et les faire remonter au niveau national, de manière anonymisée a-t-il été affirmé aux professionnels qui ont interrogé les responsables des services sociaux des CARSAT.
Quand bien même elles le seraient à ce niveau - entre local et régional - l’accessibilité par différents professionnels manque de transparence dans la chaîne entre la collecte et le traitement des données.
Pour rappel, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) prévoit que la collecte de données « sensibles » – dont celles ayant trait à la santé – ne peut être mise en œuvre qu’après autorisation.
3 – Le principe de proportionnalité
Selon l’article 6 de la loi informatique et libertés, seules doivent être traitées les informations « adaptées, pertinentes et non-excessives » au regard de ce qui est nécessaire [3].
L'octroi d'un plan d'aide par le fonds d'action sociale d'une caisse de retraite pour des personnes qui sont en GIR 6, 5 ou 4 temporairement justifie-t-il que l'on aille mettre en données de la sorte toutes les dimensions de la vie de la personne ?
Le dossier SIREVA oblige à interroger de nombreux aspects de la vie des personnes, sans qu'il ne leur soit possible de s'abstenir de répondre même à une seule question puisque le logiciel ne permet pas la transmission de la demande en l'absence de renseignement d'un seul item. La réponse « ne sait pas » ou « sans avis » n'a en effet pas été prévue. La prise en charge d’un plan d’aide est donc subordonnée à l’exposé d’informations personnelles qui peuvent n'avoir aucun rapport avec les prestations sollicitées.
L’octroi des prestations est donc bien conditionné à la délivrance d’informations qui pourraient constituer pour la CNIL une collecte de données personnelles disproportionnée, déloyale et excessive s’agissant de l’objectif visé.
4 – Le principe de finalité
Tout traitement de données doit avoir une ou des finalités déterminées, légitimes et explicites. Or, à ce jour, aucune information ne permet de vérifier que le contenu du dossier SIREVA est en concordance avec les finalités déclarées.
5 – Le principe de durée de conservation limitée
Le seul document mentionnant une durée de conservation date de 2005. Il précise une durée de conservation de 10 ans. Cela semble bien excessif pour l’attribution de prestations.
Et après le 25 mai ?
L’entrée en application du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) le 25 mai 2018 renforcera les droits des personnes en faisant notamment obligation de recueillir un consentement « non ambigu » au traitement des données ainsi que de s’assurer de celui-ci pour chaque finalité.
B – Une confusion des rôles
Les Assistants de Service Social s’interrogent sur le rôle qu’entend confier la CNAV aux professionnels intervenant au domicile des personnes : évaluateur, enquêteur, paramédical ?
Les assistants de service social sont formés à procéder à des évaluations globales prenant en compte toutes les dimensions de la vie d'une personne. Ils n'ont à priori pas de légitimité ni de compétences pour leur faire passer des tests cognitifs (Minimum Mental State (MMS) ou Set Test d’Isaac) ou encore des tests de marche ! De même qu'il leur sera difficile d'avoir une juste appréciation de l'état général d'un logement (sur ses installations électriques, canalisations etc.). Cette démarche relèverait davantage de l’intervention d’une équipe pluri-disciplinaire.
D’autre part, si la dimension de la santé psychique des personnes rencontrées est un souci permanent pour l'assistant de service social, la question des idées suicidaires n'est pas abordée de manière si frontale dès le premier entretien.
En effet, lorsque les signes d'une souffrance psychique des personnes apparaissent, l'assistant de service social procède à des investigations supplémentaires lors d'entretiens ultérieurs et/ou oriente la personne, avec son consentement, à d'autres partenaires en concordance avec les recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) sur ce sujet [4].
Sauf à créer de la confusion dans l'esprit des personnes, la nature des données collectées doit demeurer en lien avec la profession d’Assistant de Service Social et des tâches qui lui sont confiées : évaluer la perte d’autonomie et réaliser un plan d’aide lié aux besoins du quotidien. Le moment privilégié de la rencontre ne doit pas être utilisé pour imposer des tests et le professionnel se doit de respecter les attentes et la situation singulière de la personne âgée.
L’ANAS tient à rappeler que le rôle de l’Assistant de Service Social ne se cantonne pas à la seule évaluation. C’est un préalable à toute démarche d’accompagnement social pour permettre de remédier aux difficultés perçues lors des visites.
C – Un impact sur les pratiques professionnelles
Le flou qui entoure la sécurité et la confidentialité des informations à caractère personnel inquiète les professionnels tant le champ de diffusion des informations reste inconnu. De plus, ce mode de collecte de données instrumentalise la relation de confiance à des fins de constitution de bases de données.
Les assistants de service social sont des professionnels du travail social. Or, selon la définition du travail social, celui-ci « (...) s’appuie sur des principes éthiques et déontologiques (…) [et] se fonde sur la relation entre le professionnel du travail social et la personne accompagnée, dans le respect de la dignité de cette dernière (...) » [5].
A cet effet, il est utile de rappeler le contenu de la circulaire CNAV 2011-86 [6] : « L’aide apportée par les assistants de service social mandatés par l’Institution, s’exerce dans le respect du secret professionnel et des règles déontologiques de leur profession garantissant les droits de la personne. Elle s’appuie sur le respect et la valeur intrinsèque de chaque personne en tant qu’acteur et sujet de droits et de devoirs ».
Contrairement aux grands principes énoncés par la CNAV, l’objet de la rencontre entre l’assistant de service social et la personne est ici faussée. De plus, elle engage la responsabilité du professionnel et lui fait rompre une obligation légale juridiquement condamnable. En effet, le partage d'informations doit respecter des obligations rappelées par la loi.
Imposer et généraliser cet outil formate l’intervention sociale au lieu de permettre la construction avec la personne d’un accompagnement social personnalisé et individualisé en fonction de la demande ainsi que des besoins évalués.
Le dossier SIREVA obligatoire – y compris pour des demandes d’aide financières dans des régions pilotes – ne permet plus à l’assistant de service social de choisir ses modes d’interventions tel que prévu par l’article 7 du code de déontologie, puisque la visite à domicile est imposée ainsi que les modalités d’action qui deviennent dès lors contraintes.
III – Les questions posées par l’ANAS attendent des réponses
Si la CNAV n’est pas avare de questions à poser aux personnes, elle se trouve plus réservée sur celles que l’on peut lui soumettre. C’est ainsi que dès l’interpellation des professionnels, l’ANAS a engagé des recherches sur les caractéristiques du traitement de données. Or, après avoir constaté la difficulté à accéder à celles-ci, la CNAV a été saisie en novembre et décembre 2017 de demandes de communication des documents relatifs au traitement de données.
Cependant, l’administration n’ayant pas donné suite à nos demandes, la Commission d'Accès aux Documents Administratifs (CADA) ainsi que la CNIL ont été saisies.
Dans cette démarche qui concerne autant les professionnels que les personnes qu’ils accompagnent, l’ANAS estime inadmissible un tel manque de transparence l’ayant obligée à devoir engager des recours auprès de ces autorités administratives en raison de l’absence de réponse de la CNAV.
La procédure engagée étant la même que celle prévue pour le public, l’ANAS ne peut que s’interroger sur le respect par la CNAV de l’effectivité du droit d’accès prévu par l’article 39 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Conclusion
En l’absence de réponse quant aux interrogations formulées par les professionnels, l’ANAS constate que les garanties apportées par la loi du 6 janvier 1978 ne peuvent être vérifiées. Par conséquent, elle considère qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité du traitement, risquant d’exposer les professionnels aux sanctions prévues aux articles 226-16 à 226-24 du Code pénal.
De plus, l’utilisation de cet outil est une atteinte à la loi du 2 janvier 2002 qui prévoit que : « L'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. » [7].
En outre, le mode de recueil et d’utilisation de ces données va à l’encontre des recommandations de l’Anesm de bientraitance [8] et de bonnes pratiques [9] concernant le repérage des risques de perte d’autonomie et de son aggravation.
Au moment où sont lancés les États Généraux de la bioéthique organisés par le Comité Consultatif National d’Ethique, notre préoccupation rejoint l’un des thèmes abordés : « Comment mieux réguler la collecte et l’utilisation des données relatives à notre santé ? ». Les problèmes de confidentialité, de contexte de recueil à l’insu des usagers et sans consentement libres et éclairés doivent être identifiés et solutionnés pour éviter les atteintes à la vie privée.
Pour une politique efficiente des actions de prévention et de repérage des fragilités des personnes dans le cadre du maintien à domicile portée par la CNAV, il est indispensable :
Les assistants de service social, en tant que profession à très forte valeur humaine ajoutée, ne peuvent être instrumentalisés dans la quête actuelle de recueil de données à caractère personnel et sensibles. En conséquence, l’ANAS rejoint les professionnels dans leurs préoccupations et leurs inquiétudes quant à l’utilisation de cet outil et entend poursuivre son action par tous les moyens nécessaires.
Le Groupe Santé de l’ANAS
L'Association nationale des assistants de service social (ANAS) a été interpellée par des collègues assistants de service social des différentes régions de France travaillant dans les caisses d'assurance retraite (Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail CARSAT, Mutualité Sociale Agricole MSA), le collectif CPASETS [1] et des professionnels des sites évaluateurs conventionnés avec ces caisses. Tous s'interrogent sur l'utilisation d'un support d'évaluation des personnes âgées à domicile : le logiciel SIREVA (Support Inter-Régimes d’EVAluation). Il inclut une grille « prédictive » FRAGIRE (voir document joint) qui comprend 16 pages, près de 220 items dont 3 tests (2 tests cognitifs et 1 test de marche) et une grille d’évaluation de l’autonomie (AGGIR).
I - Le contexte : une grille, deux objectifs
S’inscrivant dans les objectifs de la loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, dans le cadre de leur politique de prévention, la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV), la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (CCMSA) et le Régime Social des Indépendants (RSI) ont décidé de se doter d’un outil commun : le dossier SIREVA. Il doit leur permettre de proposer aux retraités les plus autonomes (classés GIR [2] 5 et 6), demandant une aide pour le maintien à domicile ou financière, les réponses les plus adaptées pour prévenir la dépendance.
Se voulant complémentaire à la grille nationale AGGIR utilisée par les conseils départementaux pour évaluer le degré de perte d’autonomie d’une personne âgée, un outil dit « prédictif » de la fragilité, la grille FRAGIRE, a été élaboré par le Pôle Gérontologique Interrégional de Bourgogne Franche Comté sans qu’il ne soit jugé opportun d’y associer des professionnels travailleurs sociaux.
Le dossier SIREVA est ainsi déployé progressivement par les caisses de retraite pour, selon elles, d'une part étoffer l'offre de services aux retraités et d'autre part, abonder une étude qui doit permettre de tester le caractère prédictif du score de fragilité pour l'entrée en dépendance.
Les caisses de retraite présentent l'outil comme devant permettre aux évaluateurs de prioriser les aides à apporter en fonction du degré de fragilité, proposer des orientations vers des prises en charge spécialisées, participer à l'homogénéisation des pratiques, dans l'objectif de favoriser un maintien à domicile optimal.
Malgré l'affichage d'un objectif très louable, l'utilisation de la grille au domicile des personnes inquiète et questionne à plusieurs niveaux.
En effet, à la lueur des documents et témoignages qui nous sont parvenus, il apparaît que :
- Les caisses de retraite mettent en données informatisées et non anonymisées des résultats au moyen du dossier SIREVA ;
- L’intrusion dans la vie des personnes est irrespectueuse au regard du service attendu et sans réel droit d’opposition. De ce fait, il interroge sur la conformité avec la loi « Informatique et Libertés » ;
- Les modalités d’application et leurs conséquences engendrent une confusion du rôle de l’Assistant de Service Social et impactent les pratiques professionnelles.
II – Les inquiétudes des professionnels en 3 points
A – Le recueil de données est-il conforme à la loi « Informatique et Libertés » ?
La loi « Informatique et Libertés » énonce 5 principes à respecter lors de la création d’un fichier comportant des informations personnelles. Or, ces différents principes semblent à clarifier dans le cas de SIREVA :
1 – Le principe de respect des droits des personnes
Selon la loi informatique et libertés, le consentement de la personne concernée par le traitement des données personnelles doit être libre, explicite, éclairé et non équivoque.
Or, à aucun moment les personnes ne sont avisées par la caisse de retraite que les réponses aux questions qui leur seront posées seront consignées dans un logiciel informatique nominatif.
D’autant qu’en amont de la visite à domicile de l’évaluateur, la personne n’a pas connaissance qu’elle devra répondre à un questionnaire et que les données seront informatisées.
Le droit d’opposition :
Si, à l'issue des visites, l'évaluateur fait signer un document aux personnes dans lequel il est effectivement mentionné qu'elles ont un droit d'accès et de rectification aux données, la mention est libellée dans une taille de caractère tellement petite que des personnes âgées peuvent éprouver des difficultés à la lire.
De plus, aucun duplicata de ce document ne leur est remis ce qui rend très improbable l'exercice de ce droit.
Des données transmises à des structures externes :
Certains retraités ont été surpris d’être sollicités par un service conventionné se prévalant de l’évaluateur leur proposant des prestations qui n’étaient pas prévues dans le plan d’aide.
Les professionnels ont ainsi découvert que les listes des personnes âgées bénéficiant d'un plan d'aide étaient adressées à des structures avec lesquelles les caisses de retraite avaient passé convention.
Les coordonnées des personnes sont donc transmises à leur insu à des tiers qui proposeront une prestation.
2 – Le principe de sécurité et de confidentialité
Des données accessibles :
Les données collectées lors des visites par les Assistants de Service social ou d’autres professionnels évaluateurs sont des données particulièrement sensibles puisqu’elles ont trait pour partie à la santé. Elles sont inscrites dans un logiciel et adressées à un service régional. Ce sont des agents administratifs qui vont recevoir ces données et les faire remonter au niveau national, de manière anonymisée a-t-il été affirmé aux professionnels qui ont interrogé les responsables des services sociaux des CARSAT.
Quand bien même elles le seraient à ce niveau - entre local et régional - l’accessibilité par différents professionnels manque de transparence dans la chaîne entre la collecte et le traitement des données.
Pour rappel, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) prévoit que la collecte de données « sensibles » – dont celles ayant trait à la santé – ne peut être mise en œuvre qu’après autorisation.
3 – Le principe de proportionnalité
Selon l’article 6 de la loi informatique et libertés, seules doivent être traitées les informations « adaptées, pertinentes et non-excessives » au regard de ce qui est nécessaire [3].
L'octroi d'un plan d'aide par le fonds d'action sociale d'une caisse de retraite pour des personnes qui sont en GIR 6, 5 ou 4 temporairement justifie-t-il que l'on aille mettre en données de la sorte toutes les dimensions de la vie de la personne ?
Le dossier SIREVA oblige à interroger de nombreux aspects de la vie des personnes, sans qu'il ne leur soit possible de s'abstenir de répondre même à une seule question puisque le logiciel ne permet pas la transmission de la demande en l'absence de renseignement d'un seul item. La réponse « ne sait pas » ou « sans avis » n'a en effet pas été prévue. La prise en charge d’un plan d’aide est donc subordonnée à l’exposé d’informations personnelles qui peuvent n'avoir aucun rapport avec les prestations sollicitées.
L’octroi des prestations est donc bien conditionné à la délivrance d’informations qui pourraient constituer pour la CNIL une collecte de données personnelles disproportionnée, déloyale et excessive s’agissant de l’objectif visé.
4 – Le principe de finalité
Tout traitement de données doit avoir une ou des finalités déterminées, légitimes et explicites. Or, à ce jour, aucune information ne permet de vérifier que le contenu du dossier SIREVA est en concordance avec les finalités déclarées.
5 – Le principe de durée de conservation limitée
Le seul document mentionnant une durée de conservation date de 2005. Il précise une durée de conservation de 10 ans. Cela semble bien excessif pour l’attribution de prestations.
Et après le 25 mai ?
L’entrée en application du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) le 25 mai 2018 renforcera les droits des personnes en faisant notamment obligation de recueillir un consentement « non ambigu » au traitement des données ainsi que de s’assurer de celui-ci pour chaque finalité.
B – Une confusion des rôles
Les Assistants de Service Social s’interrogent sur le rôle qu’entend confier la CNAV aux professionnels intervenant au domicile des personnes : évaluateur, enquêteur, paramédical ?
Les assistants de service social sont formés à procéder à des évaluations globales prenant en compte toutes les dimensions de la vie d'une personne. Ils n'ont à priori pas de légitimité ni de compétences pour leur faire passer des tests cognitifs (Minimum Mental State (MMS) ou Set Test d’Isaac) ou encore des tests de marche ! De même qu'il leur sera difficile d'avoir une juste appréciation de l'état général d'un logement (sur ses installations électriques, canalisations etc.). Cette démarche relèverait davantage de l’intervention d’une équipe pluri-disciplinaire.
D’autre part, si la dimension de la santé psychique des personnes rencontrées est un souci permanent pour l'assistant de service social, la question des idées suicidaires n'est pas abordée de manière si frontale dès le premier entretien.
En effet, lorsque les signes d'une souffrance psychique des personnes apparaissent, l'assistant de service social procède à des investigations supplémentaires lors d'entretiens ultérieurs et/ou oriente la personne, avec son consentement, à d'autres partenaires en concordance avec les recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) sur ce sujet [4].
Sauf à créer de la confusion dans l'esprit des personnes, la nature des données collectées doit demeurer en lien avec la profession d’Assistant de Service Social et des tâches qui lui sont confiées : évaluer la perte d’autonomie et réaliser un plan d’aide lié aux besoins du quotidien. Le moment privilégié de la rencontre ne doit pas être utilisé pour imposer des tests et le professionnel se doit de respecter les attentes et la situation singulière de la personne âgée.
L’ANAS tient à rappeler que le rôle de l’Assistant de Service Social ne se cantonne pas à la seule évaluation. C’est un préalable à toute démarche d’accompagnement social pour permettre de remédier aux difficultés perçues lors des visites.
C – Un impact sur les pratiques professionnelles
Le flou qui entoure la sécurité et la confidentialité des informations à caractère personnel inquiète les professionnels tant le champ de diffusion des informations reste inconnu. De plus, ce mode de collecte de données instrumentalise la relation de confiance à des fins de constitution de bases de données.
Les assistants de service social sont des professionnels du travail social. Or, selon la définition du travail social, celui-ci « (...) s’appuie sur des principes éthiques et déontologiques (…) [et] se fonde sur la relation entre le professionnel du travail social et la personne accompagnée, dans le respect de la dignité de cette dernière (...) » [5].
A cet effet, il est utile de rappeler le contenu de la circulaire CNAV 2011-86 [6] : « L’aide apportée par les assistants de service social mandatés par l’Institution, s’exerce dans le respect du secret professionnel et des règles déontologiques de leur profession garantissant les droits de la personne. Elle s’appuie sur le respect et la valeur intrinsèque de chaque personne en tant qu’acteur et sujet de droits et de devoirs ».
Contrairement aux grands principes énoncés par la CNAV, l’objet de la rencontre entre l’assistant de service social et la personne est ici faussée. De plus, elle engage la responsabilité du professionnel et lui fait rompre une obligation légale juridiquement condamnable. En effet, le partage d'informations doit respecter des obligations rappelées par la loi.
Imposer et généraliser cet outil formate l’intervention sociale au lieu de permettre la construction avec la personne d’un accompagnement social personnalisé et individualisé en fonction de la demande ainsi que des besoins évalués.
Le dossier SIREVA obligatoire – y compris pour des demandes d’aide financières dans des régions pilotes – ne permet plus à l’assistant de service social de choisir ses modes d’interventions tel que prévu par l’article 7 du code de déontologie, puisque la visite à domicile est imposée ainsi que les modalités d’action qui deviennent dès lors contraintes.
III – Les questions posées par l’ANAS attendent des réponses
Si la CNAV n’est pas avare de questions à poser aux personnes, elle se trouve plus réservée sur celles que l’on peut lui soumettre. C’est ainsi que dès l’interpellation des professionnels, l’ANAS a engagé des recherches sur les caractéristiques du traitement de données. Or, après avoir constaté la difficulté à accéder à celles-ci, la CNAV a été saisie en novembre et décembre 2017 de demandes de communication des documents relatifs au traitement de données.
Cependant, l’administration n’ayant pas donné suite à nos demandes, la Commission d'Accès aux Documents Administratifs (CADA) ainsi que la CNIL ont été saisies.
Dans cette démarche qui concerne autant les professionnels que les personnes qu’ils accompagnent, l’ANAS estime inadmissible un tel manque de transparence l’ayant obligée à devoir engager des recours auprès de ces autorités administratives en raison de l’absence de réponse de la CNAV.
La procédure engagée étant la même que celle prévue pour le public, l’ANAS ne peut que s’interroger sur le respect par la CNAV de l’effectivité du droit d’accès prévu par l’article 39 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Conclusion
En l’absence de réponse quant aux interrogations formulées par les professionnels, l’ANAS constate que les garanties apportées par la loi du 6 janvier 1978 ne peuvent être vérifiées. Par conséquent, elle considère qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité du traitement, risquant d’exposer les professionnels aux sanctions prévues aux articles 226-16 à 226-24 du Code pénal.
De plus, l’utilisation de cet outil est une atteinte à la loi du 2 janvier 2002 qui prévoit que : « L'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. » [7].
En outre, le mode de recueil et d’utilisation de ces données va à l’encontre des recommandations de l’Anesm de bientraitance [8] et de bonnes pratiques [9] concernant le repérage des risques de perte d’autonomie et de son aggravation.
Au moment où sont lancés les États Généraux de la bioéthique organisés par le Comité Consultatif National d’Ethique, notre préoccupation rejoint l’un des thèmes abordés : « Comment mieux réguler la collecte et l’utilisation des données relatives à notre santé ? ». Les problèmes de confidentialité, de contexte de recueil à l’insu des usagers et sans consentement libres et éclairés doivent être identifiés et solutionnés pour éviter les atteintes à la vie privée.
Pour une politique efficiente des actions de prévention et de repérage des fragilités des personnes dans le cadre du maintien à domicile portée par la CNAV, il est indispensable :
- Qu’il y ait une clarification des formalités effectuées auprès du CIL [10] ou de la CNIL concernant le dossier SIREVA ;
- Que soit respecté le droit des personnes concernées à être aidées sans que des données personnelles et sensibles les concernant ne soient inscrites dans un fichier de façon obligatoire ;
- Que les professionnels soient reconnus dans leurs compétences à évaluer la situation des personnes et à proposer des plans d'aide par la relation d’aide plutôt que par des outils de scoring pré-établis.
Les assistants de service social, en tant que profession à très forte valeur humaine ajoutée, ne peuvent être instrumentalisés dans la quête actuelle de recueil de données à caractère personnel et sensibles. En conséquence, l’ANAS rejoint les professionnels dans leurs préoccupations et leurs inquiétudes quant à l’utilisation de cet outil et entend poursuivre son action par tous les moyens nécessaires.
Le Groupe Santé de l’ANAS
[1] Collectif Pour l’Abandon de SIREVA en Travail Social : cpasets@gmail.com
[2] Groupe iso-ressources (N.D.L.R.)
[2] Groupe iso-ressources (N.D.L.R.)
[3] Article 6 de la Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés modifiée
[4] Dossier Anesm, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Prise en compte de la souffrance psychique de la personne âgée : prévention, repérage, accompagnement, mars 2014
[5] Article D142-1-1 du code de l’action sociale et des familles, disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000034663455&cidTexte=LEGITEXT000006074069
[6] Circulaire CNAV N° 2011-86 & CNAMTS N° 26-2011 du 19/12/2011 relative aux missions et priorités du Service Social des CARSAT/CRAM/CGSS, disponible sur : https://www.partenairesactionsociale.fr/files/live/sites/ppas/files/base%20documentaire/textes%20nationaux/2011-86_du_19_12_2011.pdf
[7] Article L311-3 du Code de l'action sociale et des familles
[8] Dossier Anesm, La bientraitance : définition et repères pour la mise en œuvre, juillet 2008
[9] Dossier Anesm, Recommandations de bonnes pratiques professionnelles : Repérage des risques de perte d’autonomie ou de son aggravation pour les personnes âgées. Volet domicile, février 2016
[10] Correspondant Informatique et Libertés