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Des précisions importantes sur le cadre
Le cadre de la mission est celui d’une « AEMO judiciaire », prévue par les articles 375 et suivants du
Code Civil. L’article 375-2 précise que « Chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu
dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service
d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d'apporter
aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu'elle
rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l'enfant et d'en
faire rapport au juge périodiquement. »
Le service dans lequel exerce cette professionnelle est une association de sauvegarde de l’enfance,
donc un service de droit privé. Cette assistante sociale est tenue au secret professionnel par profession (art. 411-3 du Code de l’Action Sociale et des Familles).
L’intervention de cette professionnelle est bien située dans le cadre de la protection de l’enfance,
sous mandat judiciaire confié à son service par le Juge des enfants. Si elle ne peut opposer le secret
professionnel à ce dernier, il lui est interdit de transmettre à un tiers extérieur des informations sur tout
renseignement protégé par le secret professionnel, soit « ce que le professionnel aura appris,
compris, connu ou deviné à l'occasion de l'exercice de son exercice professionnel » (Crim.19/12/1995).
. Des éclaircissements nécessaires
« Quelle valeur a ce PV ? »
Un Procès Verbal n’est pas un document anodin. Il est un élément essentiel d’une procédure
judiciaire, qui acte et fige les propos tenus à un moment dans une affaire. De plus, ces propos ne sont
pas écrits par le déclarant mais par un officier de police judiciaire. Le style, la rédaction et les mots
choisis le sont par lui. Il est donc important de relire et faire modifier toute formulation ou description
qui ne correspondrait pas à la réalité.
De plus, ce PV a été réalisé à sa demande par l’assistante sociale et non sur la volonté des services
de police. Nous savons que dans ce dernier, le contexte peut être très différent. Ainsi, dans l’affaire
dîte « de Belfort », une assistante sociale avait été confrontée à une pression importante qui aurait pu
la mener à faire des déclarations dictées par la tension vécue. Il n’en fut rien. Dans l’affaire de Besançon, difficile de dire que ces mots ont été dictés sous la pression. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse qu’ils reflètent de façon fidèle sinon exacte les propos tenus.
Enfin, sur la valeur du document, il convient de savoir que l’agence France Presse a attendu d’en
visualiser la copie originale avant de rédiger une dépêche.
« Une dénonciation, n’est-ce pas comme un signalement ? »
Rappelons que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance « réserve le terme de
signalement à la saisine du procureur de la République. Le signalement est un acte professionnel écrit présentant, après évaluation, la situation d’un enfant en danger qui nécessite une protection
judiciaire. »1
Un signalement porte sur une situation dans laquelle un enfant est en risque de danger ou en danger.
Ce risque de danger ou danger est évalué et argumenté à partir de faits, analyses et hypothèses
aboutissant à une proposition. Ce sont ces éléments qui sont transmis au Juge ou au Procureur,
conformément aux textes légaux touchant à la protection de l’enfance et au secret professionnel (art.
226-14 du Code Pénal).
Le seul cas où il peut y avoir une saisine directe des forces de police, c’est lorsqu’il y a péril (article
223-6 du Code Pénal). Un péril est caractérisé par une atteinte imminente, constante et grave à la
santé voire à la vie d’une personne.
En reprenant le PV, il apparaît que :
- La professionnelle a eu connaissance des informations dont elle fait part dans le cadre de son
exercice professionnel ;
- Les faits énoncés ne montrent pas un danger pour les personnes : la phrase « De peur de
représailles, ma protégée ne répondra pas à vos convocations ni même à vos questions » ne
suffit pas à démontrer qu’il y a danger en l’état. Paradoxalement, elle tendrait à signifier que
tout acte de dénonciation de la situation en génèrerait. Il n’est affirmé aucune pression ou
violence sur la mère ou les enfants. De même, lorsqu’il est affirmé « Je l’ai interrogé sur sa
présence en ces lieux et la durée de son séjour chez la famille dans laquelle j’interviens, tout
en l’informant qu’il ne pouvait pas rester à cette adresse, Madame B... vivant une situation
financière et familiale fragile. », il n’est fait mention d’aucune volonté de départ exprimée par
la mère. Rappelons que cet homme est le demi-frère de Madame B. Enfin, une « situation
financière et familiale fragile » n’est pas suffisante pour constituer une situation de péril ou de
danger.
A partir de ces éléments, il apparait bien que l’acte effectué constitue une dénonciation d’une
personne sans-papiers et non un signalement ayant trait à la protection de l’enfance. Si cette
professionnelle avait évalué que la présence de cet homme constituait un fait générateur de risque
pour les enfants, elle devait en référer uniquement au Juge des enfants ayant ordonné la mesure
d’AEMO.
« Quelle responsabilité de la hiérarchie de cette professionnelle ? »
C’est une des grandes questions de cette affaire. La professionnelle a-t-elle agit de sa propre initiative
sans en référer à sa hiérarchie ou, au contraire, c’est avec l’accord, voire à la demande, de sa
hiérarchie qu’elle s’est rendue au commissariat ? Nous en saurons sans doute plus dans quelques
temps. Mais n’oublions pas que le professionnel reste pénalement le seul responsable en cas de
violation du secret professionnel. Le rôle de sa hiérarchie ou de ses pairs n’est qu’un élément du
contexte ayant amené au délit. Nous réaffirmons l’importance que les professionnels ne restent pas
seuls surtout lorsqu’il s’agit de déposer dans le cadre d’une enquête ou devant un tribunal. Les
encadrements intermédiaires doivent pouvoir être soutien lorsque le témoignage est légitime et légal,
et « garde-fou » lorsque des passages à l’acte répréhensibles sont envisagés.
« Quelle autre possibilité avait-elle ? »
Il faut d’abord définir le problème : si la famille concernée par l’AEMO accueillait cet homme
volontairement, il devient un des acteurs du système avec lequel le travailleur social exerçant la
mesure doit faire. Nous ne choisissons pas ceux qui peuvent ou pas vivre en interaction avec la
famille. Cela relève du choix des personnes et les assistants sociaux n’ont pas à abuser de leur
pouvoir pour imposer telle présence ou telle absence. Même si certaines personnes peuvent nous
interpeller nous ne pouvons laisser notre sentiment personnel prendre le dessus. C’est une des bases du positionnement professionnel, l’application du principe éthique de non-jugement.
Si la situation et les comportements de cet homme constituaient un risque pour les enfants ou leur
mère (donc indirectement les enfants), et si un travail avec la mère ne pouvait modifier le contexte, la
saisine de l’autorité judiciaire pouvait se faire. Comme nous l’avons vu, les éléments du PV ne vont
pas dans ce sens.
En clair, le rôle des assistants de service social, qu’ils exercent en AEMO ou ailleurs n’est pas de
dénoncer une personne sans-papiers, quand bien même elle est contraire à ce que nous
souhaiterions.
« Et pourquoi les ASS ne dénonceraient-elles pas les sans-papiers ? »
Les assistants de service social interviennent dans des situations variées, avec des publics très
différents dont certains sont en situation irrégulière ou sont en contact avec des personnes en
situation irrégulière. Il s’agit qu’ils puissent travailler avec ces personnes afin de faire évoluer une
situation a minima vers une vie décente. Par exemple, lorsqu’une femme en situation de séjour
irrégulier est victime de violences conjugales, il faut qu’elle puisse trouver de l’aide. Les assistants de
service social de secteur sont par exemple des interlocuteurs de premier plan : en les rencontrant, les
victimes peuvent trouver de l’aide sans se mettre dans une situation qui constitue pour elles une autre
forme de danger. De même, une mère peut venir parler sans risque de la consommation de drogue de son fils sans que cela débouche sur une intervention policière. Si le secret professionnel permet de
protéger des informations privées et le plus souvent légales, il est la condition pour que se disent des
situations d’irrégularité. C’est à partir de la réalité de la situation que peuvent se co-construire des
solutions. Ce travail se double d’une mise en perspective des risques à court, moyen et long terme de
la situation. C’est une des étapes pour modifier une situation et faire en sorte que la société soit
protégée. En effet, si la mère ne peut parler des passages à l’acte délictueux de son fils, jusqu’où la
dérive ira-t-elle ? Quelle souffrance pour l’enfant, sa mère et des potentielles victimes des passages à
l’acte ? Quel coût pour la société ? Même chose pour une femme victime de violence : plus elle
restera dans cette situation, plus elle risque d’en sortir détruite. C’est le fait de parler à un
professionnel soumis au secret qui est une condition de la résolution de la situation de danger.
Ne nous y trompons pas : si les assistants de service social dénonçaient les « sans-papiers », ils ne
tarderaient pas à ne plus en voir du tout, et les personnes sauraient très facilement masquer ces
situations. La précarité des conditions d’existence de ces personnes s’en trouverait accrue, au risque
de l’ensemble de la société : qui pourrait en sortir gagnant ?
« Quelle confiance entre la famille et l’assistante sociale ? »
C’est un des risques entrainé par cette situation. Comment cette assistante sociale pourrait demain
travailler avec la confiance de la mère et des enfants dont elle a dénoncé le demi-frère et l’oncle ?
Plus largement, comment avoir confiance en une professionnelle si les familles se demandent si, en
sortant de l’entretien, cette professionnelle ne va pas aller tout raconter au commissariat ?
Cette dénonciation résout peut-être le problème de la professionnelle, mais la défiance qu’elle risque
de renforcer auprès des familles concernées par des mesures d’assistance éducative ne va pas aider
les autres professionnels à soutenir les enfants et parents qu’ils rencontrent.
« L’ANAS devait-elle réagir aussi fort ? »
Si le principe de confraternité est un des devoirs établis dans le code de déontologie de la profession,
l’ANAS ne pouvait rester silencieuse au regard des éléments de cette affaire. Nous soutenons les
collègues qui font vivre au quotidien, dans des conditions extrêmement difficiles, les valeurs du travail
social. Ce fut le cas par exemple lors de l’affaire de Belfort. On ne peut défendre le secret
professionnel et l’invoquer quand cela nous arrange, pour le rompre lorsque cela nous convient.
De plus, cette affaire intervient alors que les professionnels du secteur se sont mobilisés depuis
plusieurs années pour dire l’importance du secret professionnel. De même, la question du secret et de la situation d’une personne sans-papiers a permis de préciser il y a quelques mois comment concilier les situations de secret et de témoignages. Enfin, le Conseil Supérieur du Travail Social vient de produire un avis sur la question.
L’ANAS ne pouvait donc se taire. Les membres de l’association sont aussi confrontés aux réalités
difficiles, nous savons la complexité des conditions de travail au quotidien, la solitude des travailleurs
sociaux dans des situations de tension et les responsabilités qu’ils prennent dans des cadres parfois
flous. Sur la question du secret professionnel, auquel nous sommes soumis par profession, nous
devons être vigilants.
C’est cet objectif que nous visons à travers notre réaction. Et que chacun sache qu’en voyant une
assistante sociale, il peut éprouver de la confiance plutôt que de la crainte.
Laurent PUECH
Président de l'ANAS
1 Le guide de la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation, Ministère de la santé et des solidarités, 2007
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Texte du PV
PV DE DENONCIATION
L’an deux mille huit,
le dix juin à onze heures quinze,
Nous, S...,
BRIGADIER CHEF DE POLICE
en fonction à la brigade de police administrative
Officier de police judiciaire en résidence à N...
Constatons que se présente à nous la personne ci-après dénommée qui nous déclare:
Sur son identité:
“Je me nomme B... H...”
“Je suis née le ... à ...”
“Je suis de nationalité française”
“J’exerce la profession de ASSISTANTE SOCIALE A L’AEMO*”
“Je suis domiciliée ...”
“Mon numéro de téléphone professionnel est le ...”
Sur les faits:
Je suis venue vous dénoncer la situation administrative clandestine d’un ressortissant sénégalais qui
vit à N...
Dans le cadre de mon travail j’ai rencontré par hasard, au 7 rue de ..., chez Madame B..., dont les
enfants bénéficient d’une mesure éducative, un individu inconnu.
Je l’ai interrogé sur sa présence en ces lieux et la durée de son séjour chez la famille dans laquelle
j’interviens, tout en l’informant qu’il ne pouvait pas rester à cette adresse, Madame B... vivant une
situation financière et familiale fragile.
De peur de représailles, ma protégée ne répondra pas à vos convocations ni même à vos questions.
Quinze jours après ma découverte, il vit toujours au 7 rue de ..., appartement 11, 3ème étage.
J’ai appris au hasard des discussions qu’il n’avait pas de titre de séjour et vivait de façon clandestine
en France et à la charge de Madame B...
C’est un sénégalais âgé de 22 ans environ, mesurant 1.80 m, portant des lunettes de vues rondes en
métal. Cheveux crépus très courts, toujours bien habillé, parlant un français très châtié.
Il dort le matin jusqu’à 12 heures au moins, et sort peu de peur d’être contrôlé par la Police.
Il arriverait d’Italie depuis l’expiration de son titre des séjour la-bas et serait en France depuis un mois
environ.
Il présente un vague lien de parenté avec Madame C**.
Quelque soit le mode de votre intervention, sachez qu’il y a dans ce logement quatre enfants jeunes.
Je n’ai rien d’autre à ajouter.
Après lecture faite par elle-même, la déclarante persiste et signe le présent procès-verbal avec nous à
11 h35.
Le déclarant Le brigadier de Police
Le cadre de la mission est celui d’une « AEMO judiciaire », prévue par les articles 375 et suivants du
Code Civil. L’article 375-2 précise que « Chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu
dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service
d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d'apporter
aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu'elle
rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l'enfant et d'en
faire rapport au juge périodiquement. »
Le service dans lequel exerce cette professionnelle est une association de sauvegarde de l’enfance,
donc un service de droit privé. Cette assistante sociale est tenue au secret professionnel par profession (art. 411-3 du Code de l’Action Sociale et des Familles).
L’intervention de cette professionnelle est bien située dans le cadre de la protection de l’enfance,
sous mandat judiciaire confié à son service par le Juge des enfants. Si elle ne peut opposer le secret
professionnel à ce dernier, il lui est interdit de transmettre à un tiers extérieur des informations sur tout
renseignement protégé par le secret professionnel, soit « ce que le professionnel aura appris,
compris, connu ou deviné à l'occasion de l'exercice de son exercice professionnel » (Crim.19/12/1995).
. Des éclaircissements nécessaires
« Quelle valeur a ce PV ? »
Un Procès Verbal n’est pas un document anodin. Il est un élément essentiel d’une procédure
judiciaire, qui acte et fige les propos tenus à un moment dans une affaire. De plus, ces propos ne sont
pas écrits par le déclarant mais par un officier de police judiciaire. Le style, la rédaction et les mots
choisis le sont par lui. Il est donc important de relire et faire modifier toute formulation ou description
qui ne correspondrait pas à la réalité.
De plus, ce PV a été réalisé à sa demande par l’assistante sociale et non sur la volonté des services
de police. Nous savons que dans ce dernier, le contexte peut être très différent. Ainsi, dans l’affaire
dîte « de Belfort », une assistante sociale avait été confrontée à une pression importante qui aurait pu
la mener à faire des déclarations dictées par la tension vécue. Il n’en fut rien. Dans l’affaire de Besançon, difficile de dire que ces mots ont été dictés sous la pression. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse qu’ils reflètent de façon fidèle sinon exacte les propos tenus.
Enfin, sur la valeur du document, il convient de savoir que l’agence France Presse a attendu d’en
visualiser la copie originale avant de rédiger une dépêche.
« Une dénonciation, n’est-ce pas comme un signalement ? »
Rappelons que la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance « réserve le terme de
signalement à la saisine du procureur de la République. Le signalement est un acte professionnel écrit présentant, après évaluation, la situation d’un enfant en danger qui nécessite une protection
judiciaire. »1
Un signalement porte sur une situation dans laquelle un enfant est en risque de danger ou en danger.
Ce risque de danger ou danger est évalué et argumenté à partir de faits, analyses et hypothèses
aboutissant à une proposition. Ce sont ces éléments qui sont transmis au Juge ou au Procureur,
conformément aux textes légaux touchant à la protection de l’enfance et au secret professionnel (art.
226-14 du Code Pénal).
Le seul cas où il peut y avoir une saisine directe des forces de police, c’est lorsqu’il y a péril (article
223-6 du Code Pénal). Un péril est caractérisé par une atteinte imminente, constante et grave à la
santé voire à la vie d’une personne.
En reprenant le PV, il apparaît que :
- La professionnelle a eu connaissance des informations dont elle fait part dans le cadre de son
exercice professionnel ;
- Les faits énoncés ne montrent pas un danger pour les personnes : la phrase « De peur de
représailles, ma protégée ne répondra pas à vos convocations ni même à vos questions » ne
suffit pas à démontrer qu’il y a danger en l’état. Paradoxalement, elle tendrait à signifier que
tout acte de dénonciation de la situation en génèrerait. Il n’est affirmé aucune pression ou
violence sur la mère ou les enfants. De même, lorsqu’il est affirmé « Je l’ai interrogé sur sa
présence en ces lieux et la durée de son séjour chez la famille dans laquelle j’interviens, tout
en l’informant qu’il ne pouvait pas rester à cette adresse, Madame B... vivant une situation
financière et familiale fragile. », il n’est fait mention d’aucune volonté de départ exprimée par
la mère. Rappelons que cet homme est le demi-frère de Madame B. Enfin, une « situation
financière et familiale fragile » n’est pas suffisante pour constituer une situation de péril ou de
danger.
A partir de ces éléments, il apparait bien que l’acte effectué constitue une dénonciation d’une
personne sans-papiers et non un signalement ayant trait à la protection de l’enfance. Si cette
professionnelle avait évalué que la présence de cet homme constituait un fait générateur de risque
pour les enfants, elle devait en référer uniquement au Juge des enfants ayant ordonné la mesure
d’AEMO.
« Quelle responsabilité de la hiérarchie de cette professionnelle ? »
C’est une des grandes questions de cette affaire. La professionnelle a-t-elle agit de sa propre initiative
sans en référer à sa hiérarchie ou, au contraire, c’est avec l’accord, voire à la demande, de sa
hiérarchie qu’elle s’est rendue au commissariat ? Nous en saurons sans doute plus dans quelques
temps. Mais n’oublions pas que le professionnel reste pénalement le seul responsable en cas de
violation du secret professionnel. Le rôle de sa hiérarchie ou de ses pairs n’est qu’un élément du
contexte ayant amené au délit. Nous réaffirmons l’importance que les professionnels ne restent pas
seuls surtout lorsqu’il s’agit de déposer dans le cadre d’une enquête ou devant un tribunal. Les
encadrements intermédiaires doivent pouvoir être soutien lorsque le témoignage est légitime et légal,
et « garde-fou » lorsque des passages à l’acte répréhensibles sont envisagés.
« Quelle autre possibilité avait-elle ? »
Il faut d’abord définir le problème : si la famille concernée par l’AEMO accueillait cet homme
volontairement, il devient un des acteurs du système avec lequel le travailleur social exerçant la
mesure doit faire. Nous ne choisissons pas ceux qui peuvent ou pas vivre en interaction avec la
famille. Cela relève du choix des personnes et les assistants sociaux n’ont pas à abuser de leur
pouvoir pour imposer telle présence ou telle absence. Même si certaines personnes peuvent nous
interpeller nous ne pouvons laisser notre sentiment personnel prendre le dessus. C’est une des bases du positionnement professionnel, l’application du principe éthique de non-jugement.
Si la situation et les comportements de cet homme constituaient un risque pour les enfants ou leur
mère (donc indirectement les enfants), et si un travail avec la mère ne pouvait modifier le contexte, la
saisine de l’autorité judiciaire pouvait se faire. Comme nous l’avons vu, les éléments du PV ne vont
pas dans ce sens.
En clair, le rôle des assistants de service social, qu’ils exercent en AEMO ou ailleurs n’est pas de
dénoncer une personne sans-papiers, quand bien même elle est contraire à ce que nous
souhaiterions.
« Et pourquoi les ASS ne dénonceraient-elles pas les sans-papiers ? »
Les assistants de service social interviennent dans des situations variées, avec des publics très
différents dont certains sont en situation irrégulière ou sont en contact avec des personnes en
situation irrégulière. Il s’agit qu’ils puissent travailler avec ces personnes afin de faire évoluer une
situation a minima vers une vie décente. Par exemple, lorsqu’une femme en situation de séjour
irrégulier est victime de violences conjugales, il faut qu’elle puisse trouver de l’aide. Les assistants de
service social de secteur sont par exemple des interlocuteurs de premier plan : en les rencontrant, les
victimes peuvent trouver de l’aide sans se mettre dans une situation qui constitue pour elles une autre
forme de danger. De même, une mère peut venir parler sans risque de la consommation de drogue de son fils sans que cela débouche sur une intervention policière. Si le secret professionnel permet de
protéger des informations privées et le plus souvent légales, il est la condition pour que se disent des
situations d’irrégularité. C’est à partir de la réalité de la situation que peuvent se co-construire des
solutions. Ce travail se double d’une mise en perspective des risques à court, moyen et long terme de
la situation. C’est une des étapes pour modifier une situation et faire en sorte que la société soit
protégée. En effet, si la mère ne peut parler des passages à l’acte délictueux de son fils, jusqu’où la
dérive ira-t-elle ? Quelle souffrance pour l’enfant, sa mère et des potentielles victimes des passages à
l’acte ? Quel coût pour la société ? Même chose pour une femme victime de violence : plus elle
restera dans cette situation, plus elle risque d’en sortir détruite. C’est le fait de parler à un
professionnel soumis au secret qui est une condition de la résolution de la situation de danger.
Ne nous y trompons pas : si les assistants de service social dénonçaient les « sans-papiers », ils ne
tarderaient pas à ne plus en voir du tout, et les personnes sauraient très facilement masquer ces
situations. La précarité des conditions d’existence de ces personnes s’en trouverait accrue, au risque
de l’ensemble de la société : qui pourrait en sortir gagnant ?
« Quelle confiance entre la famille et l’assistante sociale ? »
C’est un des risques entrainé par cette situation. Comment cette assistante sociale pourrait demain
travailler avec la confiance de la mère et des enfants dont elle a dénoncé le demi-frère et l’oncle ?
Plus largement, comment avoir confiance en une professionnelle si les familles se demandent si, en
sortant de l’entretien, cette professionnelle ne va pas aller tout raconter au commissariat ?
Cette dénonciation résout peut-être le problème de la professionnelle, mais la défiance qu’elle risque
de renforcer auprès des familles concernées par des mesures d’assistance éducative ne va pas aider
les autres professionnels à soutenir les enfants et parents qu’ils rencontrent.
« L’ANAS devait-elle réagir aussi fort ? »
Si le principe de confraternité est un des devoirs établis dans le code de déontologie de la profession,
l’ANAS ne pouvait rester silencieuse au regard des éléments de cette affaire. Nous soutenons les
collègues qui font vivre au quotidien, dans des conditions extrêmement difficiles, les valeurs du travail
social. Ce fut le cas par exemple lors de l’affaire de Belfort. On ne peut défendre le secret
professionnel et l’invoquer quand cela nous arrange, pour le rompre lorsque cela nous convient.
De plus, cette affaire intervient alors que les professionnels du secteur se sont mobilisés depuis
plusieurs années pour dire l’importance du secret professionnel. De même, la question du secret et de la situation d’une personne sans-papiers a permis de préciser il y a quelques mois comment concilier les situations de secret et de témoignages. Enfin, le Conseil Supérieur du Travail Social vient de produire un avis sur la question.
L’ANAS ne pouvait donc se taire. Les membres de l’association sont aussi confrontés aux réalités
difficiles, nous savons la complexité des conditions de travail au quotidien, la solitude des travailleurs
sociaux dans des situations de tension et les responsabilités qu’ils prennent dans des cadres parfois
flous. Sur la question du secret professionnel, auquel nous sommes soumis par profession, nous
devons être vigilants.
C’est cet objectif que nous visons à travers notre réaction. Et que chacun sache qu’en voyant une
assistante sociale, il peut éprouver de la confiance plutôt que de la crainte.
Laurent PUECH
Président de l'ANAS
1 Le guide de la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation, Ministère de la santé et des solidarités, 2007
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Texte du PV
PV DE DENONCIATION
L’an deux mille huit,
le dix juin à onze heures quinze,
Nous, S...,
BRIGADIER CHEF DE POLICE
en fonction à la brigade de police administrative
Officier de police judiciaire en résidence à N...
Constatons que se présente à nous la personne ci-après dénommée qui nous déclare:
Sur son identité:
“Je me nomme B... H...”
“Je suis née le ... à ...”
“Je suis de nationalité française”
“J’exerce la profession de ASSISTANTE SOCIALE A L’AEMO*”
“Je suis domiciliée ...”
“Mon numéro de téléphone professionnel est le ...”
Sur les faits:
Je suis venue vous dénoncer la situation administrative clandestine d’un ressortissant sénégalais qui
vit à N...
Dans le cadre de mon travail j’ai rencontré par hasard, au 7 rue de ..., chez Madame B..., dont les
enfants bénéficient d’une mesure éducative, un individu inconnu.
Je l’ai interrogé sur sa présence en ces lieux et la durée de son séjour chez la famille dans laquelle
j’interviens, tout en l’informant qu’il ne pouvait pas rester à cette adresse, Madame B... vivant une
situation financière et familiale fragile.
De peur de représailles, ma protégée ne répondra pas à vos convocations ni même à vos questions.
Quinze jours après ma découverte, il vit toujours au 7 rue de ..., appartement 11, 3ème étage.
J’ai appris au hasard des discussions qu’il n’avait pas de titre de séjour et vivait de façon clandestine
en France et à la charge de Madame B...
C’est un sénégalais âgé de 22 ans environ, mesurant 1.80 m, portant des lunettes de vues rondes en
métal. Cheveux crépus très courts, toujours bien habillé, parlant un français très châtié.
Il dort le matin jusqu’à 12 heures au moins, et sort peu de peur d’être contrôlé par la Police.
Il arriverait d’Italie depuis l’expiration de son titre des séjour la-bas et serait en France depuis un mois
environ.
Il présente un vague lien de parenté avec Madame C**.
Quelque soit le mode de votre intervention, sachez qu’il y a dans ce logement quatre enfants jeunes.
Je n’ai rien d’autre à ajouter.
Après lecture faite par elle-même, la déclarante persiste et signe le présent procès-verbal avec nous à
11 h35.
Le déclarant Le brigadier de Police